Dans notre cerveau, le réseau fronto-pariétal assume des fonctions extrêmement variées, de la planification et lexécution de mouvements à la rotation mentale, de lattention spatiale à la mémoire de travail. Mais comment un unique réseau peut-il prendre part à une si grande diversité de fonctions ? Des neuroscientifiques de lUniversité de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) émettent aujourdhui une hypothèse originale: toutes ces fonctions cognitives reposeraient sur une seule fonction centrale, lémulation. En créant une image dynamique abstraite des mouvements, lémulation permettrait au cerveau de renforcer ses compétences motrices, mais aussi de sen forger une représentation précise et durable. Le réseau fronto-pariétal aurait ainsi évolué dun réseau contrôlant uniquement la motricité vers un système beaucoup plus général. Cette hypothèse, formulée dans la revue Trends in Cognitive Sciences, expliquerait pourquoi les personnes souffrant dune lésion à cet endroit précis du cerveau présentent des séquelles affectant de nombreuses fonctions qui de prime abord ne paraissent pas forcément liées. Cela pourrait aussi ouvrir la voie à des thérapies multimodales plus efficaces chez les personnes cérébro-lésées.
De nombreuses études dimagerie fonctionnelle montrent que le réseau fronto-pariétal est activé par des tâches très différentes. Il lest lors dactivités motrices, comme saisir ou pointer, mais également lorsque lon effectue des mouvements oculaires et même lorsquaucun mouvement nest impliqué, si lon déplace son attention ou que lon effectue un calcul mental. « Pourquoi cette même région est-elle importante pour une si grande diversité de tâches ? Quel est le lien entre la motricité, lapprentissage moteur et le développement de la cognition chez lêtre humain ? Cette question est au cur de nos recherches », explique Radek Ptak, neuropsychologue à la Faculté de médecine de lUNIGE et au Service de neurorééducation des HUG. Un examen de toutes les données disponibles à ce jour tend vers une explication : il existerait un processus commun à ces tâches, que les scientifiques ont nommé « émulation ». Ce processus, qui consiste à planifier et à se représenter un mouvement sans le faire, active le réseau cérébral de manière identique. « Mais nous posons lhypothèse que le cerveau va encore un peu plus loin : il utiliserait ces représentations dynamiques pour accomplir des fonctions cognitives de plus en plus complexes, au-delà de la seule planification des mouvements », ajoute Radek Ptak.
Imaginer pour soigner
Les liens étroits entre les fonctions motrices et cognitives sillustrent dans le développement de lenfant: cest en manipulant que le bébé apprend. A linverse, le skieur qui répète mentalement la trajectoire de sa course avant de se lancer verra ses performances saméliorer. Cette période de préparation permet ainsi de faire un geste plus juste et plus précis.
Le même principe explique également pourquoi les personnes souffrant de lésions du réseau fronto-pariétal auront des difficultés à accomplir les tâches motrices et cognitives. Cela permet ainsi dexplorer comment utiliser les fonctions cognitives pour réhabiliter les fonctions motrices abîmées. Par exemple, lutilisation de miroirs chez les personnes hémiplégiques permet de tromper le cerveau en lui faisant croire que la main du côté lésé fonctionne encore. Cette image pourtant fausse car il sagit en fait du reflet de la main fonctionnelle permet daméliorer les capacités réelles motrices. La réalité virtuelle, qui permet de dissocier la perception selon le trouble quil sagit de soigner, est un outil que les scientifiques genevois utilisent de plus en plus. Le Dr Ptak reste néanmoins prudent : « nous devons encore poursuivre nos recherches pour fournir des données robustes sur son efficacité. Mais bien que nouvelle, cette technique comporte déjà un avantage : nos patients lapprécient et sy plient volontiers. Cela ne peut quêtre positif sur le résultat de la thérapie ! »
Lhypothèse proposée aujourdhui se base sur de nombreuses observations et ouvre dintéressantes perspectives. Au-delà des possibilités thérapeutiques, elle questionne aussi sur les origines de la cognition de manière générale : si ce principe démulation a permis de rendre généraliste un réseau au départ spécialisé dans la gestion de la motricité, comment la cognition peut-elle encore se transformer ? Un débat qui ne sera pas clos de si tôt.
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Journal
Trends in Cognitive Sciences