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Les secrets des dents fossiles révélés grâce à l’imagerie synchrotron : une enfance prolongée, prélude à l’évolution vers un gros cerveau

Les liens sociaux pourraient-ils être la clé des grands cerveaux humains ?

Peer-Reviewed Publication

European Synchrotron Radiation Facility

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3D reconstruction of the fossil skull of the sub-adult early Homo from the Dmanisi site in Georgia. The green, orange and red colors represent the preserved teeth (imaged respectively with the synchrotron at 5um, with the synchrotron at 47um, and with an industrial scanner at 250um). The blue teeth are missing ones added by mirroring their symmetrical counterparts. The purple first lower incisors have not been recovered, and have been extrapolated form the second lower incisor. Then the right upper canine is showed at 5um resolution to illustrate the visibility of growth lines on its surface, as well as on virtual slices in its enamel and dentine. A second level of zoom is done to reach the 0.7umm resolution that shows the daily lines increments in enamel. All the teeth are then virtually extracted from the skull and disposed in order to show the final dentition state at the death of this individual. Based on the dental increments observed in all the teeth, a virtual growth series has been computed every 6 months from the birth to the death of this sub-adult individual that occurred at 11.42 years.

Credit: ESRF/Paul Tafforeau, Vincent Beyrand

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Credit: Credit: ESRF/Paul Tafforeau, Vincent Beyrand

Les secrets des dents fossiles révélés grâce à l’imagerie synchrotron : une enfance prolongée, prélude à l’évolution vers un gros cerveau

Les liens sociaux pourraient-ils être la clé des grands cerveaux humains ? En étudiant au Synchrotron Européen de Grenoble (ESRF), les dents fossiles d’un Homo primitif datant de 1,77 million d’années, une équipe scientifique internationale a révélé que cet ancien représentant du genre Homo avait une enfance prolongée malgré un cerveau de petite taille et un âge adulte comparable à celui des grands singes. Cette découverte suggère que l’allongement de l’enfance, lié à la transmission culturelle dans des groupes sociaux à trois générations, aurait rendu possible l’évolution vers un gros cerveau comme celui de l’homme moderne et non l’inverse. L’étude, fruit de 18 années de recherche, est publiée dans Nature.

Résumé

Une étude approfondie d’un fossile d’un ancien représentant du genre Homo datant de 1,77 million d’années, provenant du site de Dmanisi en Georgie, conduit une équipe internationale de chercheurs de l’Université de Zurich, du Synchrotron Européen de Grenoble (ESRF) et du Musée National Géorgien à reconsidérer l’hypothèse reliant l’allongement de l’enfance à la taille du cerveau chez l’Homme moderne (Homo sapiens).

L’analyse par imagerie synchrotron du développement dentaire du crâne fossilisé d’un individu presque adulte montre que, bien que cette espèce atteigne l’âge adulte aussi vite que les grands singes (environ 12 ans), elle présente une croissance dentaire proche de celle des humains modernes, suggérant une enfance prolongée. Cette dépendance prolongée des jeunes envers les adultes serait liée à une transmission culturelle renforcée au sein de groupes multigénérationnels, où les anciens transmettaient leur savoir aux plus jeunes.

Selon les chercheurs, ce contexte social aurait permis l’assimilation d’un volume croissant de connaissances, amorçant ainsi un processus évolutif où la sélection naturelle favoriserait la transmission culturelle, puis l’augmentation de la taille du cerveau. La quantité d’information augmentant de plus en plus, l’évolution aurait favorisé le développement de cerveaux de plus en plus grands, ce qui aurait entrainé le recul de l’âge adulte et l’allongement de la durée de vie. Cette étude suggère que l’allongement de l’enfance et les interactions multigénérationnelles auraient joué un rôle central dans l’évolution bio-culturelle qui a mené à des cerveaux plus volumineux comme chez l’homme moderne, et non l’inverse.

Version longue

Comparée aux grands singes, les humains ont une enfance exceptionnellement longue, au cours de laquelle les parents, grands-parents et autres adultes contribuent à leur développement physique et cognitif. Cette période clé permet l’acquisition des compétences nécessaires pour évoluer dans l'environnement social complexe d'un groupe humain.

 

Le consensus actuel attribue cette longue croissance de l’homme moderne à l’augmentation du volume cérébral, un organe particulièrement énergivore à développer. Cependant, dans une étude publiée dans Nature, s’appuyant sur l’analyse synchrotron de la croissance dentaire d’un fossile exceptionnel, une équipe internationale suggère de revoir l’hypothèse du lien entre « gros cerveau et longue enfance ».

 

Les dents sont la clé

 

L'équipe de recherche, composée de scientifiques de l'université de Zurich (Suisse), du Synchrotron Européen de Grenoble (ESRF), et du Museum National Géorgien a utilisé l’imagerie synchrotron pour étudier le développement dentaire d'un individu fossile quasiment adulte d’un ancien représentant du genre Homo, datant d'environ 1,77 million d'années et provenant du site de Dmanisi en Géorgie.

 

« L'enfance et la cognition ne se fossilisent pas, nous devons donc nous appuyer sur des informations indirectes. Les dents sont idéales parce qu'elles se fossilisent bien et qu'elles produisent des anneaux quotidiens, de la même manière que les arbres produisent des anneaux annuels, qui enregistrent leur développement », explique Christoph Zollikofer de l'université de Zürich et premier auteur de la publication. « Le développement dentaire est fortement corrélé au développement du reste du corps, y compris au développement cérébral. Accéder aux détails de la croissance dentaire d’un hominidé fossile permet donc d’obtenir de nombreuses informations sur sa croissance générale », précise Paul Tafforeau, scientifique à l’ESRF et co-auteur de l’étude.

 

18 ans de recherche

Ce projet a démarré en 2005, suite aux premiers succès des analyses de microstructures dentaires non destructives par tomographie synchrotron en contraste de phase à l'ESRF. Cette technique a permis aux scientifiques de créer des tranches microscopiques virtuelles à travers les dents de ce fossile. La qualité de préservation exceptionnelle des stries de croissances dans ce spécimen a permis de reconstituer toutes les phases de sa croissance dentaire, de sa naissance à sa mort, avec une précision jamais atteinte. Les scientifiques ont en quelque sorte fait virtuellement repousser les dents de cet hominidé mort il y a 1.77 millions d’années.

 

Ce projet a duré presque 18 ans, de 2005 jusqu’à la finalisation des résultats en 2023. « Nous nous attendions à trouver soit un développement dentaire typique des hominidés anciens, proche de celui des grands singes, soit un développement dentaire proche de celui des humains actuels. Quand nous avons obtenu les premiers résultats, nous n’avons pas voulu y croire, car c’était quelque chose de différent qui impliquait une croissance des couronnes des molaires plus rapides que tout ce qu’on connaissait dans la littérature. », explique Paul Tafforeau. Suivant l’obtention des premiers résultats en 2007, 5 séries d’expériences et 4 analyses complètes ont été menés avec des approches différentes au fur et à mesure des progrès techniques de l’imagerie dentaire au synchrotron.

Les résultats allant tous dans le même sens, et ayant potentiellement un fort impact sur l’hypothèse « gros cerveau – longue enfance », les scientifiques ont dû réfléchir en dehors du cadre habituel pour comprendre ce fossile. « Ça a été une lente maturation à la fois technique et intellectuelle pour finalement arriver à l’hypothèse que nous publions aujourd’hui » conclut Paul Tafforeau.

 

Des dents de lait utilisées plus longtemps

« Les résultats ont montré que cet individu est mort entre 11 et 12 ans alors que ses dents de sagesse avaient déjà fait leur éruption, comme c'est le cas chez les grands singes à cet âge » explique Vincent Beyrand de l’ESRF, co-auteur de l’étude. Cependant, l'équipe a constaté que ce fossile présentait un mode de maturation des dents étonnamment semblable à celui des humains, les dents de derrière étant en retard sur les dents de devant pendant les cinq premières années de leur développement.

 

« Cela suggère que les dents de lait étaient utilisées plus longtemps que chez les grands singes, et que les enfants des Homo anciens étaient dépendants du soutien des adultes plus longtemps que ceux des grands singes », explique Marcia Ponce de León de l'université de Zürich et co-auteur de l'étude. « Il pourrait s'agir de la première expérience évolutive d'une enfance prolongée ».

 

Comment les dents peuvent apporter des informations sur l’évolution du cerveau

Avec cette étude, les scientifiques proposent de revoir l'hypothèse jusqu’à présent établie reliant l’allongement de l’enfance à la taille du cerveau « gros cerveau - longue enfance ».

 

Le cerveau de ces anciens représentants du genre Homo n'était pas beaucoup plus gros que celui des grands singes ou des australopithèques, mais ils vivaient probablement plus longtemps. En effet, un des crânes découverts à Dmanisi était celui d’un individu très âgé qui avait perdu toutes ses dents des années avant de mourir. « Le fait qu’un individu aussi âgé ait été capable de survivre sans aucune dent pendant plusieurs années indique que le reste du groupe a pris soin de lui » commente David Lordkipadnize du Museum National de Géorgie et co-auteur de l’étude.

Les individus âgés sont ceux qui ont la plus grande expérience ; on peut donc penser que leur rôle dans la communauté pouvait être de transmettre leurs connaissances aux individus les plus jeunes. Cette structure à trois générations est un aspect fondamental de la transmission de la culture chez l’homme. Or, il est bien connu que les jeunes enfants peuvent mémoriser énormément d’informations grâce à la plasticité de leur cerveau immature. Cependant, plus il y a de choses à mémoriser, et plus il faut de temps pour le faire.

D’où la nouvelle hypothèse émise par l’équipe scientifique. La croissance des enfants se serait ralentie en parallèle de l’augmentation des transmissions culturelles, rendant de plus en plus importante la quantité d’informations communiquée aux plus jeunes par les anciens. Cette transmission aurait permis de mieux utiliser les ressources disponibles tout en développant des comportements plus complexes, et aurait ainsi donné un avantage évolutif en faveur d’une enfance plus longue (et probablement d’une durée de vie plus longue). Une fois ce mécanisme mis en place, la sélection naturelle se serait donc appliquée aux aspects de transmission culturelle et non plus seulement aux caractères biologiques. Ensuite, au fur et à mesure de l’augmentation de la quantité d’informations à transmettre, l’évolution aurait favorisé l’augmentation du volume cérébral et un recul de l’âge adulte, permettant à la fois d’apprendre plus de choses dans l’enfance, et d’avoir le temps de faire croître un plus gros cerveau malgré des ressources alimentaires limitées.

Ce n’est donc peut-être pas l’augmentation de la taille du cerveau qui aurait entrainé le ralentissement du développement chez l’homme, mais l’allongement de l’enfance et la structure à trois générations qui auraient permis la mise en place de l’évolution bio-culturelle, laquelle aurait ensuite entrainé l’augmentation du volume cérébral et le recul de l’âge adulte et une plus longue durée de vie. L’étude des dents de ce fossile exceptionnel pourrait donc inciter les chercheurs à reconsidérer les mécanismes évolutifs qui ont mené à notre propre espèce Homo sapiens.

Référence : 'Dental evidence for extended growth in early Homo from Dmanisi', Nature, 13 November 2024, https://www.nature.com/articles/s41586-024-08205-2

Contacts pour les scientifiques : (tous parlent français)


Contact presse :

Delphine Chenevier, Head of communication, ESRF, delphine.chenevier@esrf.fr, +33 (0)4 76 88 26 04

 

 


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