Certains individus porteurs du VIH-1 et ayant bénéficié d’un traitement antirétroviral précoce pendant plusieurs années ont la capacité de contrôler le virus sur le long terme après l’arrêt du traitement. Cependant, les mécanismes permettant ce contrôle post-traitement ne sont pas entièrement élucidés. Pour la première fois, une équipe composée de chercheuses et chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et de l’AP-HP, avec le soutien de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes, a investigué et mis en évidence l’implication d’anticorps neutralisants, y compris ceux dits à large spectre, dans le contrôle du virus. Ces résultats clés sont publiés le 10 juillet 2023 dans la revue Cell Host & Microbe. Un essai clinique qui intègre l’utilisation d’anticorps neutralisants à large spectre devrait être initié en France avant fin 2023.
Connus sous le terme de ‘contrôleurs post-traitement’, de rares personnes porteuses du VIH-1 et ayant bénéficié d’un traitement précoce maintenu pendant plusieurs années ont la capacité de contrôler le virus sur le long terme à l’arrêt de leur traitement. Ces personnes ont été identifiées il y a plusieurs années grâce notamment à l’étude VISCONTI[1], la plus grande cohorte de personnes contrôleuses post-traitement à long terme. Les mécanismes de ce contrôle permettant une rémission durable de l’infection VIH-1 sans traitement antirétroviral ne sont pas entièrement élucidés mais l’identification de ces cas offre une opportunité unique de les comprendre plus précisément.
Une étude, menée par l’unité Immunologie humorale à l’Institut Pasteur dirigée par le Dr Hugo Mouquet, en collaboration avec l’équipe du Dr Asier Sáez-Cirión, directeur de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur, contribue aujourd’hui à décrire davantage ces mécanismes. Comme l’explique Asier Saéz-Cirión, « En étudiant la réponse immunitaire des personnes contrôleuses post-traitement en 2020, nous avions fait un premier grand pas en démontrant la mise en place chez certains de ces individus d’une réponse immunitaire efficace et robuste contre le virus qui pourrait contribuer à ce contrôle[2]. Aujourd’hui, notre nouvelle étude fait encore progresser cette connaissance. En étudiant le rôle des anticorps chez un cas particulier de ‘contrôleur post-traitement’ présentant un taux particulièrement haut d’anticorps neutralisants à large spectre, nous avons découvert que la rémission était probablement possible grâce à l’intervention de ce type d’anticorps. »
Hugo Mouquet détaille cette découverte : « Notre étude a permis d’identifier pour la première fois une famille d’anticorps neutralisants à large spectre (broadly neutralizing antibodies - bNAbs), dont l’anticorps EPTC112, qui cible la protéine d’enveloppe du VIH-1, est un des représentants les plus actifs de cette famille. »
En effet, l’anticorps EPTC112 neutralise environ un tiers des 200 variants viraux du VIH-1[3] testés in vitro, et est capable d’induire l’élimination de cellules infectées en présence de cellules Natural Killer (NK), des cellules immunitaires chargées d’éliminer les cellules anormales de l’organisme.
Cette étude fournit donc des informations importantes sur la façon dont les anticorps neutralisants modifient le cours de l’infection par le VIH-1 chez cette personne de la cohorte VISCONTI. Bien que le virus du VIH-1 circulant chez ce sujet soit résistant à EPTC112 à cause de mutations dans la région ciblée par cet anticorps, il est par ailleurs efficacement neutralisé par d’autres anticorps de type IgG isolés du plasma sanguin. L’étude suggère donc que les anticorps neutralisants de la famille EPTC112 imposent une pression de sélection sur le virus du VIH-1. Bien qu’échappant à l’action de ces bNAbs, le virus reste sensible à la neutralisation par d’autres anticorps anti-VIH-1 produits chez cette personne. Cette observation témoigne ainsi d’une forme de coopération entre les différentes populations d’anticorps neutralisants.
« Le fait de pouvoir étudier ce cas particulier et de découvrir un lien entre la production d’anticorps neutralisants y compris à large spectre et le contrôle de la circulation du VIH-1 est enthousiasmant pour affiner la compréhension des mécanismes en jeu, notamment chez les personnes contrôleuses post-traitement avec des profils similaires. Nous aimerions en effet pouvoir étudier à court terme si les réponses anticorps chez d’autres ‘contrôleurs post-traitement’ participent aussi à la rémission durable de l’infection », explique Hugo Mouquet.
Cette découverte ouvre la voie vers l’établissement de nouvelles pistes de traitement contre le VIH-1, et nourrit les espoirs pour des approches thérapeutiques favorisant une rémission sans traitement antirétroviral grâce au rôle clé des anticorps neutralisant à large spectre. A cet effet, un essai clinique qui intègre l’utilisation d’anticorps neutralisant à large spectre[4] devrait être initié en France avant fin 2023. « Cet essai de phase II réalisé par le consortium ANRS RHIVIERA en partenariat entre l’Institut Pasteur, l’AP-HP, l’Inserm et l’université Rockefeller à New York consiste à étudier l’association d’un traitement antirétroviral en primo-infection avec deux anticorps neutralisant le VIH-1 contre placebo afin de déterminer si ces anticorps peuvent contribuer à établir une rémission virale après arrêt des antirétroviraux. Il est prévu d’intégrer 69 patients en phase de primo infection[5] du VIH-1 qui recevront d’abord un traitement antirétroviral sur une courte période puis le traitement à base d’anticorps neutralisants ciblant deux domaines différents de la protéine d’enveloppe du virus. Après un an de suivi rapproché et sur la base de critères précis, le traitement pourra être stoppé. Cet essai va nous permettre de déterminer si cette stratégie thérapeutique est capable d’induire une réponse immunitaire suffisante pour contrôler l’infection après l’arrêt du traitement antirétroviral » conclut Hugo Mouquet.
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[1] VIH – Les anticorps des « contrôleurs post-traitement » (pasteur.fr)
[2] Transient viral exposure drives functionally coordinated humoral immune responses in HIV-1 post-treatment controllers study, Nature Communication, 11 avril 2022
[3] Il existe deux types de VIH, le VIH-1 et VIH-2 avec des différences moléculaires. Et au sein de ces deux types, il existe des variants en lien avec différentes mutations leur conférant des différences de transmissibilité, de virulence ou d’immunogénicité.
[4] https://rhiviera.com/project/anrs-rhiviera-02/
[5] Primo infection : phase précoce de l’infection par le VIH-1 durant laquelle la charge virale est importante. Le virus du VIH envahit l’organisme en s’attaquant au système immunitaire avec la destruction ses réservoirs de lymphocytes CD4.
Journal
Cell Host & Microbe
Article Title
Anti-V1/V3-glycan broadly HIV-1 neutralizing antibodies in a post-treatment controller
Article Publication Date
10-Jul-2023