Instagram, la plateforme de réseautage social fondé sur le partage d’images, a fait l’objet ces dernières années d’une multitude de critiques en raison de ses effets néfastes sur la santé mentale des personnes utilisatrices, en particulier les jeunes femmes et les filles. L’ampleur des effets potentiellement nuisibles d’Instagram est toujours largement débattue, mais une chercheuse de Concordia affirme dans un récent article que la fréquentation régulière de l’application n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Dans certains cas, cette fréquentation peut même s’avérer bénéfique pour les femmes aux prises avec des problèmes de santé mentale comme les troubles alimentaires et l’anxiété.
Dans un article publié dans la revue Feminist Media Studies, Fanny Gravel-Patry, candidate au doctorat et chercheuse engagée de Concordia pour l’année 2021, procède à une étude approfondie de l’utilisation d’Instagram par les femmes dans leur vie quotidienne. Elle s’est penchée sur les habitudes numériques de trois Québécoises vivant avec une maladie mentale qui ont intégré Instagram à leur quotidien et selon qui la plateforme a des effets favorables sur leur santé mentale. La chercheuse précise que ces femmes utilisent chacune l’application d’une façon différente, selon leur personnalité, que ce soit pour créer et trouver des ressources en santé mentale, partager leur cheminement de guérison ou faire des captures d’écran de publications qui les inspirent. Fanny Gravel-Patry affirme qu’Instagram a sur ces femmes un effet apaisant et supplée à l’accès limité aux ressources en santé mentale.
« Je voulais connaître les raisons pour lesquelles ces femmes avaient recours à la plateforme, le type de contenus qu’elles consultaient et généraient et ce qu’elles trouvaient sur Instagram qu’elles ne pouvaient pas trouver ailleurs », poursuit la chercheuse.
Des habitudes numériques bienfaisantes
Fanny Gravel-Patry indique qu’il y a de bonnes raisons de s’intéresser aux habitudes numériques des femmes. Premièrement, l’adoption d’habitudes régulières est souvent le premier pas que les personnes aux prises avec la maladie mentale peuvent faire pour améliorer leur état, qu’il s’agisse de faire de l’exercice, de suivre une thérapie, de faire de l’artisanat, de tenir un journal ou de passer du temps en ligne de façon constructive. Deuxièmement, la chercheuse voulait savoir dans quelle mesure les femmes interviewées avaient réussi à briser avec les images constamment réitérées de femmes apparaissant comme des êtres hystériques ou enclines à la folie et à formuler de nouveaux discours plus positifs. Troisièmement, elle voulait savoir si les habitudes de fréquentation des réseaux sociaux pouvaient, à long terme, donner lieu à une transformation vers le mieux-être.
« J’ai essayé d’examiner toute cette problématique afin de déterminer quelle place y occupaient les médias sociaux en tant que facteur d’aide à la guérison et non pas en tant qu’obstacle à celle-ci », explique-t-elle. « Sans nécessairement les considérer comme la meilleure solution, je voulais les présenter comme un outil que les femmes ont à leur disposition. »
Les trois femmes que Fanny Gravel-Patry a interrogées dans le cadre de son étude sont des étudiantes aux cycles supérieurs au sein d’un établissement universitaire québécois. L’une d’entre elles souffre d’un trouble alimentaire, une autre d’anxiété généralisée et d’un trouble alimentaire et la troisième d’anxiété, de problèmes d’image corporelle et de traumatismes découlant d’expériences de racisme vécues dans l’enfance.
Ces femmes utilisent toutes Instagram régulièrement en tant que moyen de composer avec leurs troubles mentaux, mais de façons différentes. L’une a décidé d’y raconter son processus de rétablissement, tandis que les deux autres ont préféré une approche plus anonyme, soit la prise de captures d’écran de mèmes constructifs et l’abonnement à des comptes dont le contenu contribue à apaiser le sentiment d’anxiété.
Santé mentale et capitalisme de plateforme
Fanny Gravel-Patry fait toutefois remarquer qu’Instagram n’est pas un environnement intrinsèquement bénéfique. En tant qu’entreprise partie prenante du capitalisme de plateforme, Instagram a sa part de responsabilité dans le maintien d’un système économique qui réalise des profits sur le dos des femmes et des filles, ce qui peut avoir pour elles des conséquences néfastes. Cela est d’autant plus vrai que lorsqu’on considère qu’à l’heure actuelle, le financement des soins en santé mentale favorise davantage les ressources axées sur les initiatives individuelles comme les outils numériques d’autosoins.
« Étant donné que les ressources sont limitées, les gens n’ont pas d’autre choix que de prendre en charge leur propre santé mentale et de recourir à des applications comme Instagram », fait-elle valoir. « Mais au bout du compte, ces applications cautionnent une structure fondée sur la marchandisation des soins et les solutions individuelles. »
Lisez l’article cité : “A series of little high fives”: mental health and digital habituation in women’s Instagram practices.
Journal
Feminist Media Studies
Method of Research
Observational study
Subject of Research
People
Article Title
“A series of little high fives”: mental health and digital habituation in women’s Instagram practices
Article Publication Date
24-Nov-2022
COI Statement
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