Les signaux d’alarme chimiques détectés par un type de poisson d’eau douce d’Amérique centrale au stade juvénile induisent une augmentation notable de la taille de certaines régions du cerveau. C’est ce que révèle une nouvelle étude menée par Grant Brown, professeur de biologie à la Faculté des arts et des sciences, de l’Université Concordia, et Braeden Donaldson (M. Sc. 2018), ancien étudiant du Pr Brown.
Dans le compte rendu de leurs travaux publié récemment dans la revue Proceedings of the Zoological Society, les deux chercheurs révèlent que des spécimens juvéniles d’Amatitlania nigrofasciata – une espèce de poisson de la famille des cichlidés – exposés de façon répétée sur une période de deux semaines à des signaux d’alarme forts évoquant la présence d’un risque élevé ont un cerveau 16 pour cent plus gros, en moyenne, que les sujets témoins exposés à un risque faible. Cette croissance, ont-ils observé, est particulièrement observable dans des régions précises du cerveau. Ainsi, les sujets du groupe exposé à un risque élevé présentaient des bulbes olfactifs 20 pour cent plus gros, des bulbes optiques 21 pour cent plus gros et un hypothalamus 18 pour cent plus gros, en moyenne.
Les chercheurs ont également constaté qu’une fois les signaux d’alarme retirés, le cerveau des sujets exposés à un risque élevé reprenait une taille comparable à celui des sujets exposés à un risque faible, soit après 11 jours.
« Compte tenu de ce que nous avions observé lors de travaux précédents, nous nous attendions à voir des changements dans le comportement des juvéniles après 14 jours d’exposition à des signaux d’alarme forts. La prochaine étape consistait à examiner ce qui se passe dans le cerveau », explique Braeden Donaldson, qui poursuit actuellement son doctorat à l’Université de Victoria. « Nous voulions vérifier s’il y a une réponse neuroplastique sous-jacente qui corrèle ces changements comportementaux. Or, nous avons pu confirmer qu’il y en a une. »
Le coût élevé de la neurogenèse
Les chercheurs ont réparti au hasard des cichlidés âgés de 86 jours dans deux groupes de traitement. Chaque groupe consistait en cinq bassins, chacun contenant un banc de 28 poissons. Un groupe a été exposé à une solution produite à partir d’un homogénat de peau prélevée sur des spécimens d’A. nigrofasciata euthanasiés. Il s’agissait du groupe désigné comme étant celui exposé à un risque élevé.
Comme de nombreuses autres espèces-proies aquatiques, A. nigrofasciata libère un signal chimique quand sa peau ou ses organes sous-jacents sont lésés. C’est un avertissement clair et fiable de la présence d’une menace de prédation. Des fragments de peau lésée ont été utilisés pour élaborer un extrait capable d’induire des signaux d’alarme propres à entraîner un comportement anti-prédateur. Le groupe « risque élevé » a été exposé à cet extrait trois fois par jour pendant 14 jours, afin de simuler la présence de prédateurs. Les chercheurs ont introduit une quantité similaire – soit 10 millilitres – d’eau distillée dans les bassins du groupe « risque faible », afin d’induire chez les sujets témoins une perturbation similaire de leur environnement. À la fin de la période de 14 jours, la moitié des poissons ont été retirés de chacun des dix bassins aux fins d’analyse.
Les poissons restants ont été maintenus dans leurs bassins en l’absence de toute autre perturbation pour une période de 11 jours supplémentaires, jusqu’à ce qu’eux aussi soient retirés de leur milieu pour analyse.
Les résultats ont montré que le cerveau des poissons augmente de taille lorsque ceux-ci sont exposés de façon répétée à des indices évoquant une prédation, mais que le phénomène s’inverse lorsqu’on retire ces signaux. Les chercheurs n’ont pu déterminer si cette inversion est attribuable à un ralentissement de la croissance du cerveau ou si elle est le résultat d’une récupération du reste de l’organisme du poisson, maintenant qu’il dispose d’une énergie supplémentaire.
« Nous nous attendions à observer ce phénomène d’inversion. En effet, la neurogenèse – c’est-à-dire la production de neurones dans le cerveau qui entraîne la croissance de l’organe – est extrêmement gourmande en énergie », explique le Pr Brown. Si un animal n’a pas besoin de produire de neurones supplémentaires dans le cadre d’un mécanisme de survie, il utilisera cette énergie pour croître et gagner en force ou en maturité sexuelle. Cette expérience, soutient le Pr Brown, est évocatrice d’une neuroplasticité réversible. » Cette étude vient s’ajouter aux travaux menés par Brendan Joyce, un doctorant membre de l’équipe du Pr Brown, qui a observé des changements similaires dans la morphologie du cerveau chez le ventre-rouge du Nord adulte et le saumon de l’Atlantique juvénile.
« Il y a vingt ans, les biologistes de l’évolution qui étudiaient la prise de décisions comportementales chez l’animal disaient “L’animal va faire ceci ou cela”. Aujourd’hui, il est plus juste de dire “L’animal peut faire ceci ou cela”, selon les signaux environnementaux qu’il reçoit », ajoute le Pr Brown. « Les variations sur le plan de l’environnement, de la disponibilité de la nourriture, de l’accouplement, de la prédation… Toutes contribuent à régir la manière dont un animal utilise son énergie. C’est le principe de la plasticité. »
Lisez l’article cité (en anglais seulement) : Predation Cues Lead to Rapid Changes in Brain Morphology of Juvenile Convict Cichlids (Amitatlania nigrofasciata).
Journal
Proceedings of the Zoological Society
Method of Research
Randomized controlled/clinical trial
Subject of Research
Animals
Article Title
Predation Cues Lead to Rapid Changes in Brain Morphology of Juvenile Convict Cichlids (Amitatlania nigrofasciata)
Article Publication Date
8-Aug-2022
COI Statement
The authors declare no conflict of interest, nor any competing interests.