Dans les politiques, les lignes directrices médicales et les documents didactiques actuels, le discours dominant entourant les femmes qui donnent naissance tardivement à un enfant est fortement axé sur les aspects négatifs : par exemple, les risques pour la santé de la mère et de l’enfant ou encore, les difficultés d’être nouveau parent à un âge moins qu’optimal.
C’est le sujet d’un nouvel article publié dans la revue Health, Risk and Society par Francesca Scala, professeure de science politique à la Faculté des arts et des sciences de l’Université Concordia. Dans son article, la chercheuse soutient qu’une large part du discours officiel entourant la maternité à un âge avancé, outre d’être enraciné dans l’âgisme et le capacitisme, n’est pas au diapason des tendances actuelles en matière de procréation. En effet, selon Statistique Canada, l’âge moyen des mères au moment de la première naissance augmente constamment depuis le milieu des années 1960. À l’heure actuelle, plus de femmes donnent naissance entre 35 et 39 ans qu’entre 20 et 24 ans. Or, les attentes sociétales à l’égard des mères demeurent en grande partie inchangées.
Les aspects négatifs à l’avant-plan
La Pre Scala et Michael Orsini de l’Université d’Ottawa, avec qui la chercheuse a cosigné l’article, ont analysé plus d’une vingtaine de documents en anglais – politiques, rapports gouvernementaux, énoncés professionnels et directives spécialisées – contenant les termes advanced maternal age (âge maternel avancé), delayed childbearing (maternité tardive) older mothers (mères d’âge mûr) et infertility (infertilité). Le moment de parution des documents allait de 1993 à 2020.
Au fil de leurs travaux, les chercheurs ont cerné trois grands thèmes : les mères d’âge mûr étaient considérées comme des « sujets maternels à risque », un phénomène « contraire à la nature » ou des « citoyennes procréatives irresponsables ».
Les chercheurs ne nient pas les risques biomédicaux que présente la grossesse à un âge avancé, comme l’éclampsisme et le diabète gestationnel. Les femmes d’âge mûr sont désignées comme groupe vulnérable, et leurs enfants présentent un risque accru d’anomalies chromosomiques (alors que jusqu’à une époque très récente, les risques de pathologies chez les enfants liés à l’âge avancé du père, comme la schizophrénie ou l’autisme, étaient rarement mentionnés).
Cependant, l’idée que la maternité à l’âge mûr est contraire à la nature est plus problématique. « Il existe dans notre société un modèle idéologique bien ancré de la maternité. Celle-ci est vue comme un rôle déterminant pour la femme », explique la Pre Scala. « Ce modèle repose sur la notion selon laquelle les femmes sont les premières pourvoyeuses de soins et seules responsables de la santé et du bien-être de l’enfant. Or, les mères d’âge mûr bousculent notre idée de la “bonne mère” – c’est-à-dire quelqu’un de jeune et d’énergique, qui dispose du temps et des ressources nécessaires pour se consacrer pleinement à l’éducation de ses enfants ».
Les textes étudiés font également état d’effets psychologiques néfastes que pourrait subir un enfant dont la mère serait d’un âge équivalent à celui que pourrait avoir sa grand-mère. Cette préoccupation a été soulevée dans le livre blanc sur les technologies reproductives, publié par l’Association médicale canadienne. En revanche, on y en dit très peu sur les répercussions de l’âge paternel avancé.
« Sur les sites Web gouvernementaux, on trouve beaucoup d’information à propos du moment idéal pour amorcer une grossesse du point de vue de la fertilité, et ce, même si les études montrent que les femmes d’âge mûr sont souvent mieux préparées à avoir des enfants », soutient la Pre Scala. « Elles ont les moyens financiers de prendre soin de leur progéniture et ont des relations stables. »
Cette idée reçue selon laquelle la procréation tardive est problématique ou représente un fardeau financier pour l’État peut avoir des répercussions sur l’accès à la fécondation in vitro, souligne-t-elle. Par exemple, certaines provinces canadiennes refusent d’étendre la couverture de l’assurance maladie aux femmes qui ont recours à cette méthode de fécondation au-delà de l’âge de 42 ans, en raison des risques accrus associés à la grossesse comme à la naissance, et du faible taux de réussite du traitement.
« Notre objectif, en tant que spécialistes des sciences sociales, n’était pas de remettre en question les statistiques entourant les risques biomédicaux, mais plutôt de voir si les femmes d’âge mûr étaient elles-mêmes érigées en problème social dans le cadre de ce débat », souligne Francesca Scala.
« Au lieu d’attribuer aux femmes la responsabilité de “respecter leur horloge biologique”, j’aimerais voir davantage de discussions sur la façon dont les courants sociaux et économiques plus larges influent sur la trajectoire des femmes vers la maternité. Comment pouvons-nous, en tant que société, soutenir les femmes qui ont des enfants à l’âge idéal; par exemple, en leur offrant des services de garde accessibles, de sorte qu’elles ne soient pas pénalisées pour avoir eu leurs enfants trop tôt ou trop tard? »
Lisez l’article cité (en anglais) : Problematising older motherhood in Canada: ageism, ableism, and the risky maternal subject.
Journal
Health Risk & Society
Method of Research
Literature review
Subject of Research
People
Article Title
Problematising older motherhood in Canada: ageism, ableism, and the risky maternal subject
Article Publication Date
28-Mar-2022
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