Avec plus de 10% de la population mondiale obèse et 40% en surpoids, l’obésité constitue l’un des défis sanitaires les plus cruciaux. Les options thérapeutiques restent néanmoins rares et peu efficaces. Il y a quelques années, des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) avaient découvert que la surface d’absorption et la fonction de l’intestin se modifiaient sous l’effet de certains stimuli externes, comme par exemple l’exposition au froid. En utilisant différents modèles de souris combinés à des biopsies intestinales humaines, ils/elles décryptent aujourd’hui les mécanismes moléculaires régissant cette surprenante plasticité et montrent qu’une nourriture plus abondante augmente la surface de l’intestin et sa capacité d’absorption. En cause, l’expression accrue de PPARα, une protéine régulatrice qui s’avère indispensable au mécanisme d’augmentation de la capacité d’absorption des calories induite par la suralimentation. En outre, si des quantités élevées de nourriture augmentent la surface d’absorption de l’intestin, la restriction alimentaire peut inverser le processus et le ramener à un niveau proche de la normale. Ce phénomène a d’ailleurs pu être reproduit grâce à des techniques pharmacologiques et génétiques, suggérant ainsi des stratégies qui pourraient potentiellement limiter l’obésité. Des résultats à découvrir dans la revue Nature Communications.
Des centaines de millions d’adultes et d’enfants dans le monde sont cliniquement obèses, une maladie étroitement associée aux causes majeures de décès, comme les maladies cardiaques ou les accidents vasculaires. L’obésité résulte principalement d’un déséquilibre entre la dépense énergétique et l’absorption de calories. Dans l’intestin, en effet, les aliments préalablement décomposés sont absorbés avant de passer dans la circulation sanguine pour être distribués dans tout le corps. Pour absorber suffisamment de calories, la paroi intestinale est recouverte de millions de circonvolutions appelées villosités et microvillosités qui, mises bout à bout, couvriraient la surface d’un terrain de football.
Un effet impressionnant et rapide
«Il y a quelques années, nous avions découvert que l’intestin pouvait s’allonger ou se raccourcir en fonction des facteurs environnementaux et des besoins physiologiques», se souvient Mirko Trajkovski, professeur au Département de physiologie cellulaire et métabolisme et au Centre du diabète de la Faculté de médecine de l’UNIGE, et principal auteur de ces travaux. «Nous avons donc voulu comprendre comment se déclenchait cette remarquable plasticité intestinale.» En utilisant différents modèles de souris et des biopsies intestinales humaines —des structures artificielles en 3D— l’équipe de recherche a constaté que la quantité de nourriture consommée constituait de fait le principal régulateur de la longueur de l’intestin. «Nous avons observé une réponse relativement rapide et physiologiquement impressionnante en cas d’augmentation de la quantité de nourriture ingérée: l’intestin s’allongeait alors de plus de 30 %, et était associé à une croissance notable de la taille des villosités et des microvillosités », ajoute Mirko Trajkovski. «Cela permettait à l’intestin de développer une plus grande capacité d’absorption des calories.» De plus, ces changements s’avèrent réversibles : lorsque la quantité de nourriture diminue, la longueur et la morphologie de l’intestin redeviennent proches de la normale.
Une plasticité contrôlée par la protéine PPARα
L’expansion de l’intestin est un mécanisme très énergivore ; les scientifiques de l’UNIGE ont ainsi constaté que l’augmentation de la surface d’absorption intestinale mobilise dans cet organe différentes voies métaboliques (soit les étapes par lesquelles les cellules transforment les aliments en énergie). Si plusieurs voies qui contribuaient au processus d’expansion intestinale ont été identifiées, l’une d’entre elles, la voie PPARα, s’est avérée absolument indispensable. En effet, la protéine PPARα semble contrôler à la fois l’augmentation de la longueur des villosités et la capacité d’absorption calorique. Elle élève en effet le niveau d’une autre protéine, nommée PLIN2, qui, en promouvant la formation de gouttelettes de lipide dans les cellules intestinales, favorise l’absorption des graisses. En inactivant PPARα dans l’intestin des souris, les scientifiques ont pu confirmer ce mécanisme. «La délétion de PPARα dans l’intestin, ou son inhibition pharmacologique, entraîne en effet une nette réduction de la capacité d’absorption de l’intestin, et a permis d’inverser l’accumulation de graisse et l’obésité causées par une alimentation très calorique», ajoute Mirko Trajkovski.
Cette plasticité insoupçonnée de l’intestin, qui lui permet de rétrécir ou d’agrandir sa surface et ses villosités, pourrait constituer une alternative intéressante au by-pass gastrique ou à d’autres interventions irréversibles qui visent à réduire la prise de poids et les complications liées à l’obésité. «PPARα joue cependant un rôle clé dans beaucoup de fonctions métaboliques, et est exprimée dans de nombreux tissus. Avant que nos découvertes puissent être proposées aux patient-es, il nous faudra donc trouver le moyen d’inhiber cette protéine dans l’intestin uniquement sans toucher aux autres organes», concluent les auteur-es.
Journal
Nature Communications
Method of Research
Experimental study
Subject of Research
Animal tissue samples
Article Title
Dietary excess regulates absorption and surface of gut epithelium through intestinal PPAR
Article Publication Date
2-Dec-2021