La psychologie dun être humain dépend dun grand nombre de paramètres émotionnels et motivationnels, comme le désir, la souffrance ou le besoin de sécurité, en plus des dimensions spatiale et temporelle qui jouent elles aussi un rôle fondamental pour justifier nos prises de décisions et planifier nos actions. Afin de comprendre, étudier et prédire les comportements humains, des chercheurs provenant notamment des Universités de Genève (UNIGE), du Texas, de Paris 7 et de University College London se sont associés pour créer le premier modèle mathématique de la conscience incarnée. Fondé sur des concepts mathématiques solides et démontré par des simulations, ce modèle permet de prédire et dexpliquer un vaste ensemble de phénomènes cognitifs et de réactions comportementales. Cette recherche, à lire dans la revue Journal of Theoretical Biology, ouvre aussi la voie à de nombreuses applications industrielles dans la robotique, lintelligence artificielle ou le domaine de la santé.
Une équipe internationale et interdisciplinaire de chercheurs, menée par David Rudrauf, professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de léducation de lUNIGE, a voulu produire une théorie psychologique fonctionnant selon le modèle développé par les sciences dures. Lobjectif: construire un modèle mathématique de la psychologie humaine afin de pouvoir prédire et analyser les comportements normaux et pathologiques de lêtre humain. Plus de dix ans de recherches, mêlant mathématiques, psychologie, neurosciences, philosophie, informatique et ingénierie, auront été nécessaires à la création de ce modèle théorique de la conscience.
Lénergie libre détermine les choix
Tout un chacun est constamment soumis à des choix, quils soient importants ou non. Mais comment décide-t-on ? De nombreux paramètres, conscients et inconscients, se télescopent sans cesse lors de chaque prise de décision. « Nous avons construit un modèle qui permet justement de reproduire une prise de décision en fonction du moment, du cadre et des perceptions réelles et imaginaires qui y sont liées », explique David Rudrauf. « Il sagit ensuite danalyser la solution optimale pour laquelle lesprit va naturellement opter ». En fonction des préférences de lindividu, par exemple la sécurité, et en prenant différentes perspectives réelles et imaginaires sur le monde, lesprit calcule les probabilités dobtenir ce quil veut de la manière la plus sûre possible. Ce calcul de probabilité, fondé sur les préférences et valeurs de lindividu, peut sexprimer comme une énergie libre. « La conscience utilise lénergie libre pour explorer le monde de façon active et satisfaire ses préférences en imaginant les conséquences anticipées de ses actions », précise Karl Friston de University College London. En fonction de lénergie libre, le modèle mathématique est capable de prédire les états de conscience et les comportements adoptés par lindividu et den analyser les mécanismes.
Ce modèle, appelé le Modèle de Conscience Projective, permet lanalyse des comportements possibles en fonction des événements : si une personne voit des gâteaux en vitrine, va-t-elle les acheter ou au contraire poursuivre sa route ? En fonction de ses préférences, par exemple la gourmandise ou la radinerie, le modèle va déterminer ce qui conviendra le mieux à son état desprit et prédire son état psychologique et son comportement grâce à la combinaison de la géométrie projective et du calcul de lénergie libre.
Capturer la phénoménologie de lesprit et en faire un modèle mathématique : la géométrie projective
« Il sagissait de capturer les structures essentielles à la conscience et de les modéliser », explique Kenneth Williford, professeur de philosophie à lUniversité du Texas. « La perception, limagination et laction sont soutenues par des mécanismes inconscients et nous avons découvert que la conscience les intègre à travers une géométrie spécifique: la géométrie projective », ajoute Daniel Bennequin, professeur au Département de mathématiques de lUniversité de Paris 7. Les chercheurs sont partis dune synthèse des phénomènes psychologiques, incluant des phénomènes perceptifs de base, par exemple lillusion que des rails de train convergent au loin, alors quils sont en réalité parallèles. Ils ont pu, sur cette base, sélectionner le modèle mathématique qui permet de modéliser cette perception et limaginaire qui sy attache. « Il sagissait ensuite de comprendre comment ce champ de conscience est lié à laffect, aux émotions et à la motivation, mais aussi à la mémoire et aux intentions», explique David Rudrauf.
La réalité virtuelle : espace dexpériences et de recherches
« Une fois les composantes théoriques définies, nous les implémentons dans des programmes informatiques. Nous travaillons à les coupler avec de la réalité virtuelle afin de reproduire un environnement spatial, temporel et affectif aussi proche que possible du nôtre », explique David Rudrauf. Les chercheurs peuvent ensuite faire des prédictions de comportements en jouant avec les mécanismes du modèle, afin de le perfectionner et de le rapprocher toujours plus de la conscience humaine. Un travail de longue haleine. « Mais nous avons également pour objectif dorienter progressivement la recherche vers des modèles de psychopathologies », ajoute David Rudrauf. « Nous avons par exemple découvert que si nous privons le modèle dimagination, il se comporte comme une personne atteinte dautisme, ce qui nous permet dorienter la recherche sur limportance de limagination et de ses mécanismes spécifiques dans la prise en charge de cette maladie ». Ce modèle fonctionne ainsi sur un concept de réciprocité : lhomme permet de tester et de renforcer lefficacité du modèle, et le modèle permet dexpérimenter différents cas de figures, sources de maladies psychologiques chez lhomme.
Les résultats montrent que ce premier modèle mathématique de la conscience incarnée, en intégrant la temporalité, la spatialisation et les émotions, permet de prédire efficacement un vaste ensemble de comportements humains connus et de comprendre leurs mécanismes. Mais il reste encore beaucoup de travail pour réussir à reproduire à lidentique la conscience humaine, chaque comportement possible devant être implémenté dans le système mathématique. Les chercheurs travaillent maintenant sur une extension de lalgorithme produisant des machines qui pourront sadapter aux réactions de leurs interlocuteurs et agir selon un principe de réciprocité empathique.
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Journal
Journal of Theoretical Biology