Il n'est plus à démontrer que l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre est le principal responsable du réchauffement climatique. Mais au niveau régional, une multitude d'autres facteurs entrent en compte. C'est le cas en Arctique, cet immense océan entouré de terres au Pôle nord, qui se réchauffe deux à trois fois plus rapidement que le reste de la planète. Une des conséquences de la fonte de la calotte glaciaire arctique est la réduction de l'albédo, qui est la capacité des surfaces à réfléchir une certaine quantité de rayonnement solaire. Les surfaces brillantes de la Terre comme les glaciers, la neige et les nuages ont une réflectivité élevée. Lorsque la neige et la glace diminuent, l'albédo diminue et une plus grande quantité de rayonnement est absorbée par la Terre, ce qui entraîne une augmentation de la température près de la surface.
L'autre facteur régional, bien que beaucoup plus complexe, auquel les scientifiques doivent accorder une attention particulière concerne la manière dont les nuages et les aérosols interagissent. Les aérosols sont de minuscules particules en suspension dans l'air ; ils sont de tailles et de compositions très diverses et peuvent être produits naturellement - comme les embruns, les émissions microbiennes marines ou les feux de forêt (comme en Sibérie) - ou être produits par l'activité humaine, par exemple par la combustion de combustibles fossiles ou l'agriculture. Ils servent de surface sur laquelle les molécules d'eau forment des gouttelettes, permettant la formation des nuages. En raison de ce rôle, et plus précisément de la manière dont ils affectent la quantité de rayonnement solaire qui atteint la surface de la Terre, et le rayonnement terrestre qui quitte la Terre, les aérosols sont un élément essentiel de la régulation du climat et du climat arctique en particulier. Ce qui complique les choses, c'est que le climat arctique et les aérosols évoluent rapidement, créant ainsi une "base de référence naturelle en mouvement ".
« Beaucoup de questions »
Dans une perspective publiée le 8 février dans Nature Climate Change, Julia Schmale, directrice du Laboratoire de recherche en environnements extrêmes de l'EPFL, spécialiste des aérosols, interpelle la communauté scientifique sur la nécessité de mieux appréhender ces phénomènes. « L'effet de l'albédo de la glace est mieux compris. Mais si l'on considère une population d'aérosols, elle peut diffuser ou absorber la lumière, former ou non un nuage. Elle peut provenir d'une émission anthropique ou naturelle, être transportée sur de longues distances ou être locale ... Cela fait beaucoup plus de questions auxquelles il faut répondre rapidement car l'Arctique change si vite », explique-t-elle. Paul Zieger et Annica M. L. Ekman, du centre Bolin pour la recherche sur le climat de l'Université de Stockholm, sont co-auteurs de l'article.
Le climat arctique a tendance à se réchauffer le plus rapidement en hiver - bien qu'il n'y ait pas d'effet d'albédo pendant cette période de nuit perpétuelle. Les scientifiques ne savent toujours pas exactement pourquoi. L'une des raisons pourrait être la radiation terrestre, reflétée par le couvert nuageux de manière plus ou moins importante suivant la nature et la quantité des aérosols présents dans les nuages. Cela conduit à une augmentation de la température au-dessus de la banquise, mais la formation des nuages est complexe et très difficile à simuler avec des modèles. Par ailleurs, « nous avons très peu d'observations sur les processus locaux se déroulant sur la banquise en hiver, parce qu'il faut pour cela geler un brise-glace avec des scientifiques et des appareils pendant toute la saison », continue la scientifique.
Améliorer les modèles climatiques
Malgré le grand nombre d'expéditions déjà menées en Arctique pendant les saison chaudes, l'étendue de ce qui reste à découvrir est immense. Une solution est d'améliorer les modèles climatiques existants, en mettant en relation l'ensemble des connaissances sur les processus conduisant au réchauffement. « Il faut vraiment faire un gros effort rapidement, sinon nous serons toujours en retard pour comprendre ce qui se passe. Pour améliorer les modèles, nous devons utiliser les observations dont nous disposons déjà. Beaucoup d'informations sont disponibles, mais elles n'ont pas été utilisées pour établir des liens entre les différents processus », défend Julia Schmale. Par exemple, « les modèles ne peuvent pas nous dire en quoi les aérosols d'origines naturelles locales contribuent au réchauffement climatique régional. »
Les scientifiques suggèrent dans l'article trois étapes pour développer une compréhension plus claire du futur climat de l'Arctique et du rôle joué par les aérosols.
Ils imaginent notamment la création d'un espace virtuel interactif, interdisciplinaire et en open-source regroupant toutes les connaissances sur l'interaction aérosol-nuage dans l'Arctique, par exemple en suivant le modèle de la plateforme collaborative Renku du Swiss Data Science Center. Cela peut affecter les modèles météorologiques dans d'autres parties de l'hémisphère nord, et nous sommes bien conscients de l'impact sur l'élévation du niveau de la mer de la fonte des glaciers et de la calotte glaciaire au Groenland". Une autre étape, que les auteurs suggèrent, en plus d'explorer les données en collaboration et de développer des modèles de systèmes arctiques, consiste à mener des études de processus interdisciplinaires. Celles-ci devraient révéler comment les interactions entre l'atmosphère, la cryosphère, l'océan, la terre et la biosphère affectent les aérosols et la formation des nuages. Ce qui évolue avec le réchauffement climatique.
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Journal
Nature Climate Change