Quel est le rôle des ménages dans la transition énergétique ? Un simple geste peut-il faire la différence ? Le projet européen ENERGISE, dirigé par lUniversité de Genève (UNIGE) pour la Suisse, a expérimenté une réduction de la consommation énergétique sur 300 ménages de 8 pays différents. Lobjectif ? Baisser la température ambiante du logement à 18°C et réduire de moitié le nombre de lessives durant quatre semaines. Les résultats démontrent que ces actions nont pas dimpact sur le confort des habitants, mais permettent une baisse de la consommation dénergie de 6%, une économie de 13 millions de m3 deau et un gain de temps hebdomadaire dune heure.
Dans le contexte actuel de la crise climatique, la transition énergétique à léchelle des ménages joue un rôle central. Cest pourquoi les initiatives qui visent une consommation énergétique plus durable au quotidien se sont multipliées dans les dernières années. Toutefois, 75% dentre elles invitent à des changements techniques (comme remplacer les ampoules incandescentes par des LED) ou individuels (comme éteindre la lumière). «Mais cela nest pas suffisant, relève Marlyne Sahakian, professeure à la Faculté des sciences de la société (SDS) de lUNIGE. Pour obtenir un réel changement, il faut aborder la consommation énergétique en lien avec la vie quotidienne dans toute sa complexité, cest-à-dire en tenant compte des normes sociales autour du confort et de lhygiène.»
Le chauffage et la lessive comme chevaux de bataille
Le projet ENERGISE a suivi 300 ménages de 8 pays européens, dont 36 pour la Suisse, dans une approche «living lab». «Il ne sagissait pas dimposer un comportement aux gens, mais dimaginer avec eux la manière dont ils pouvaient réduire au mieux leur consommation énergétique», continue la chercheuse genevoise. Deux domaines significatifs ont été ciblés par le projet: le chauffage et la lessive.
Deux challenges ont ainsi été mis en place par ENERGISE: baisser la température ambiante des logements à 18°C et réduire de moitié les cycles de lessive, durant quatre semaines pour chaque challenge. «Afin de soutenir les ménages, nous leur avons distribué des boîtes qui contenaient des éléments liés au chauffage (chaussettes, chocolats chauds, etc.) et à la lessive (brosse, tablier, terre de sommière, etc.)», explique Marlyne Sahakian.
Une réduction de la consommation énergétique dau moins 6% et 13 millions de m3 deau économisés sur une année
Durant ces quatre semaines, les ménages sont parvenus à modifier significativement leurs pratiques. Les chercheurs ont constaté que la diminution de 1°C de la température ambiante du logement nimpactait nullement le confort habituel des habitants, tout en permettant une économie dénergie de 6%, soit près du double de lénergie nécessaire à toutes les lessives et le séchage. Même si peu de ménages ont réussi à atteindre les 18°C, les habitants qui ont réduit de 1 à 3°C doivent, certes, shabiller plus chaudement chez eux en hiver et ne plus être en t-shirt et pieds nus, mais ils ressentent un impact positif sur leur santé, surtout dans la chambre à coucher.
Du côté du lavage du linge, une lessive de moins par semaine et par ménage durant un an représente une économie denviron 13 millions de m3 deau, soit plus de 5000 piscines olympiques, 10 millions de litres de produit lessive et léquivalent de la consommation délectricité annuelle de 90000 ménages. «Et cela sans compter le gain de temps passé à trier le linge, le repasser et le ranger, soit environ une heure de travail domestique hebdomadaire de gagné et un soulagement de la charge mentale», souligne Marlyne Sahakian.
Changer les pratiques sociales
De nombreux comportements reflètent simplement nos représentations des normes sociales et nont pas vraiment de raison dêtre en pratique, comme changer dhabits tous les jours et les laver alors quils sont encore propres. «Parfois, il suffit simplement de les aérer ou denlever une petite tâche, sans pour autant faire une lessive», constate la chercheuse. En un siècle, la température ambiante des logements est par ailleurs passée de 15°C à 22°C grâce à des changements techniques, qui ont contribué à transformer les standards de confort vers des températures plus élevées. Mais chacun nest pas à son aise à 22°C, certains préfèrent la fraicheur, dautres la chaleur. Ainsi, les standards de confort intérieur demeurent assez variés. Les personnes à mobilité réduite ont besoin de plus de chauffage, par exemple. Dans tous les cas, prendre conscience du caractère relatif de nos standards et de nos attentes permet de remettre en question des normes et des représentations qui sous-tendent nos pratiques.
La majorité des ménages dENERGISE ont intégré les pratiques développées pendant les challenges à leur mode de fonctionnement ordinaire. Mais il sagit à présent de généraliser ces habitudes à lensemble de la société. «Le concept déconomie dénergie est abstrait, cest pourquoi il faut le lier au confort. Cela permet de constater que dans les foyers qui ne vivent pas dinsécurité énergétique, il ny a pas de changement lorsque lon diminue simplement de 1°C la température ambiante, mais que les économies, elles, sont bel et bien là», senthousiasme Marlyne Sahakian. Cette simple modification des pratiques permet à elle seule déconomiser 6% de lénergie dédiée au chauffage, alors que les objectifs de la Stratégie énergétique 2050, acceptée par le parlement en 2017, tablent sur une diminution de 13% de la consommation énergétique par personne en 2035, par rapport à celle de lan 2000.
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