- Les muons, des particules cousines des électrons, font tourner la tête des physiciens depuis plus de 10 ans : la mesure expérimentale de leurs propriétés magnétiques (1) diverge en effet de la théorie. Peut-être à cause de particules ou de forces inconnues ?
- Un nouveau calcul théorique de ce paramètre, impliquant notamment des physiciens du CNRS et publié dans la revue Nature, réduit lécart avec la mesure expérimentale. Mais le débat nest pas clos pour autant.
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Depuis plus de 10 ans, la mesure des propriétés magnétiques du muon (une sorte de cousin éphémère de lélectron) est en désaccord avec les prédictions théoriques, suggérant une possible lacune du modèle standard de la physique des particules (2) et laissant entrevoir une physique plus exotique. Ce 7 avril 2021 sera dévoilé le premier résultat de lexpérience « Muon g-2 » de Fermilab, qui mesure lune de ces propriétés du muon appelée « moment magnétique ».
Si la France ne participe pas directement à cette expérience, une équipe du CNRS (3) a joué un rôle déterminant dans le calcul de la prédiction théorique choisie comme référence (4) et sans laquelle aucune conclusion nest possible. Pour déterminer la contribution, dite de polarisation hadronique du vide, qui limite actuellement la précision du calcul, cette équipe utilise des mesures effectuées auprès de collisionneurs électron-positon. Cette approche exacte, dépendant seulement de la précision des mesures, a été développée et améliorée par cette équipe depuis plus de 20 ans, conduisant au désaccord avec la mesure expérimentale du moment magnétique du muon.
Une méthode différente a été récemment suivie par une autre équipe comprenant des chercheurs du CNRS (5), qui révèle dans Nature le résultat de son calcul de cette contribution. Or, il réduit lécart avec la valeur expérimentale connue jusquici. Le modèle standard na donc peut-être pas dit son dernier mot ! Pour parvenir à ce résultat, les scientifiques ont calculé cette contribution ab initio, cest-à-dire en ne faisant appel quaux équations du modèle standard, sans paramètre supplémentaire. Avec environ un milliard de variables, plusieurs supercalculateurs européens massivement parallèles (6) ont été nécessaires pour relever cet énorme défi. Pour la première fois, un tel calcul rivalise en précision avec l'approche de référence qui donne des valeurs du moment magnétique du muon plus éloignées de la valeur mesurée.
Pour trancher définitivement, il faudra attendre que le résultat de ce nouveau calcul théorique soit confirmé par dautres équipes et comprendre doù viennent les différences entre les deux approches théoriques. Cest ensemble que les équipes du CNRS relèvent actuellement ce défi. Leur espoir, en combinant les approches, est dobtenir une nouvelle prédiction théorique de référence suffisamment précise pour décider du sort du modèle standard dans quelques années, lors de la publication des résultats définitifs de lexpérience « Muon g-2 » du Fermilab et dune expérience ayant des objectifs similaires, menée au Japon.
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Notes
(1) Mesure effectuée au Brookhaven National Laboratory (États-Unis) entre 1997 et 2001.
(2) Le modèle standard de la physique des particules est la théorie qui décrit les particules élémentaires et leurs interactions.
(3) Le groupe DHMZ, composé de Michel Davier (IJCLab CNRS/Université Paris-Saclay), Andreas Hoecker (CERN, Genève), Bogdan Malaescu (LPNHE, CNRS/Sorbonne Université) et Zhiqing Zhang (IJCLab), a publié 10 articles de référence sur le sujet, cités plus de 3000 fois.
(4) La valeur théorique de référence utilisée par lexpérience « Muon g-2 » a été obtenue en confrontant les résultats des différents groupes travaillant sur ce sujet dans le monde et publiée dans Physics Reports en 2020. Elle est très proche de la dernière valeur publiée par le groupe DHMZ en 2019.
(5) Outre léquipe de Laurent Lellouch au Centre de physique théorique (CNRS/Aix-Marseille Université/Université de Toulon) en France, la collaboration « Budapest-Marseille-Wuppertal » implique lUniversité Eötvös Loránd (Hongrie), lUniversité de Wuppertal et le Forschungszentrum Jülich (Allemagne), ainsi que la Pennsylvania State University (États-Unis).
(6) Ceux du Forschungszentrum Jülich, du Leibniz Supercomputing Centre München, du High Performance Computing Center Stuttgart en Allemagne ; Turing et Jean Zay à l'Institut du développement et des ressources en informatique scientifique (Idris) du CNRS et Joliot-Curie au Très grand centre de calcul (TGCC) du CEA en France, via le Grand équipement national de calcul intensif (Genci).
Journal
Nature