Les chercheurs de lInstitut Paul Scherrer PSI ont étudié lévolution de la consommation énergétique de lindustrie suisse en fonction des prix de lénergie. Ces travaux ont été conduits avec des économistes britanniques. Les chercheurs ont notamment examiné les prix et la consommation délectricité et de gaz naturel au cours des dernières décennies. Ils concluent, entre autres, que les augmentations de prix dans le domaine de lénergie ont le plus souvent un impact uniquement à long terme sur la consommation dénergie. Les chercheurs continuent à élaborer des scénarios pour les possibles évolutions à venir jusquen 2050, en thématisant notamment certains aspects de la protection du climat. Ils publient aujourdhui leurs résultats dans le rapport «Swiss Industry: Price Elasticities and Demand Developments for Electricity and Gas».
Lorsque les prix de lénergie augmentent, cela peut avoir notamment deux effets dans lindustrie. Dun côté, une réduction de la demande dénergie, du fait que les entreprises sefforcent de compenser laugmentation des prix par des économies dénergie, par exemple en recourant à des technologies et des méthodes de production plus efficaces. De lautre, une augmentation des prix peut empêcher lentreprise de rester concurrentielle, ce qui entraîne une baisse de la production et donc une baisse de la consommation dénergie. Ce lien entre variation des prix et variation de la demande est appelé aussi élasticité des prix.
Les chercheurs de l'Institut Paul Scherrer PSI ont étudié, dans le cadre d'un projet de recherche parrainé par l'Office fédéral suisse de l'énergie (OFEN), lévolution de la consommation énergétique de lindustrie suisse en fonction des prix de lénergie. Avec des économistes de la société de conseil britannique Cambridge Econometrics, ils ont développé une méthode qui permet aussi bien de comprendre cette élasticité des prix de manière rétrospective que de la modéliser pour lavenir dans le cadre de scénarios. «Pour les évolutions qui ont eu lieu jusquici, nous nous sommes appuyés sur la littérature scientifique existante et les données de lOFEN et de lIEA, lAgence internationale de lénergie», explique Tom Kober, chef du groupe de recherche Economie énergétique et lun des principaux auteurs de létude. Les données utilisées couvrent la période 1970-2016. Les chercheurs ont étudié les prix ainsi que la consommation de gaz naturel et délectricité.
La réaction intervient au bout denviron cinq ans
Le gaz naturel et lélectricité représentent les deux tiers de la consommation énergétique de lindustrie suisse, alors que les déchets et dautres vecteurs énergétiques représentent un tiers. Lindustrie chimique, lindustrie agroalimentaire, lindustrie mécanique, le secteur des minéraux non métalliques (dont fait notamment partie lindustrie du ciment) et lindustrie des pâtes à papier sont les secteurs les plus énergivores. Lanalyse rétrospective a ainsi montré quà court terme, dans ces secteurs, les augmentations de prix navaient guère deffet sur la consommation de gaz et délectricité. Les chercheurs ont constaté que la réduction de la demande énergétique intervenait uniquement à long terme, au bout de cinq ans environ. Daprès létude, ce résultat est, entre autres, dû au fait que dans la plupart des cas, après un signal de prix, il faut du temps pour adapter les processus de production et les méthodes ou investir dans un équipement plus efficace dun point de vue énergétique.
Les diverses branches présentent des différences significatives. Ainsi, la sidérurgie, responsable de 6% de la consommation énergétique de lindustrie suisse, est le secteur qui réagit le moins aux renchérissements. Pour une augmentation de prix de 1%, la consommation énergétique na baissé que de 0,14% dans ce secteur. A linverse, le secteur des minéraux non métalliques et lindustrie des pâtes à papier ont nettement réduit leur consommation dénergie consécutivement aux augmentations de prix. Pour une augmentation de prix de 1%, la consommation énergétique a baissé de 0,7% dans ces secteurs.
Pour pouvoir étudier les futures évolutions à long terme de la consommation énergétique de lindustrie, les chercheurs ont élaboré des scénarios quils ont calculés à laide de modèles informatiques. Le scénario appelé E-POL se base surtout sur la Stratégie énergétique 2050 de la Suisse. Celle-ci ne prévoit pas de valeurs concrètes de réduction des émissions de gaz à effets de serre et mise avant tout sur lutilisation de technologies plus efficaces sur le plan énergétique et le développement des énergies renouvelables. Elle prévoit par exemple que, dici 2035, la consommation énergétique totale par tête en Suisse ne représente plus que 57% du niveau de 2000, et que ce même taux passera à 46% dici 2050. Le scénario appelé CLI, en revanche, est basé pour lessentiel sur la stratégie climatique de la Suisse, dont lobjectif est de réduire à zéro les émissions de gaz à effet de serre dici 2050.
Applications électriques: la clé pour réduire les émissions de gaz à effet de serre
Dans le scénario E-POL comme dans le scénario CLI, les émissions de CO2 sont réduites de manière continue et toutes les branches de lindustrie contribuent à cette réduction en recourant de manière accrue à des applications électriques et en remplaçant ou en économisant le gaz naturel, les huiles minérales et le charbon (qui est aujourdhui incinérée notamment de lindustrie suisse du ciment).
Dans les secteurs de lindustrie agro-alimentaire et des pâtes à papier, la part de lénergie électrique pourrait augmenter grâce à lutilisation de technologies correspondants. Les objectifs defficacité énergétique fixés dans le scénario EPOL appuient lutilisation de pompes à chaleur en combinaison avec la récupération de chaleur. Dans ce domaine, cela pourrait permettre daméliorer lefficacité énergétique de 40%. Les économies dénergie pour lindustrie des matériaux non métalliques (roches, argile et sel, par exemple) sont un peu moins importantes. A long terme, le passage du charbon au gaz naturel contribuera à améliorer lefficacité énergétique et à réduire les émissions dans ce secteur. Il faut encore tirer au clair dans quelle mesure la séparation du CO2 pourrait être utilisée lors de la fabrication du ciment.
En dépit des efforts pour réduire les émissions de CO2, la part du secteur industriel dans le total des émissions en Suisse augmentera, car la réduction dans dautres secteurs sera encore plus importante en raison des efforts redoublés de protection du climat. Dans lensemble, les chercheurs partent du principe que les coûts dutilisation de lénergie augmenteront à long terme et donc que les prix de certaines énergies augmenteront eux aussi. Cette évolution aura un impact sur léconomie et la demande énergétique totale ainsi que sur la composition des sources dénergie et des technologies énergétiques.
Les chercheurs ont ainsi constaté, entre autres, un effet particulier au niveau de lévolution de la consommation énergétique totale. La demande délectricité reste largement stable ou va même croissant. Par ce biais, la part délectricité dans la consommation énergétique totale augmente dans les trois scénarios pour passer denviron 24% en 2015 de 28% à 35% en 2030 et de 32 à 62% en 2050. En chiffres absolus, la demande de courant dans le scénario E-POL se maintient pratiquement au niveau de 2015, alors que dans le scénario CLI elle augmente de presque 40% dici 2050.
«Dans ce contexte, la manière dont le courant est produit revêt une importance énorme, souligne Tom Kober. Si lon veut réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre, il est indispensable de développer à temps les énergies renouvelables.» Le chercheur estime également quil faut recourir aux importations de courant depuis létranger, étant donné que là-bas aussi, les énergies renouvelables gagnent du terrain. Dans lensemble, la recommandation suivante se dégage: encourager une consommation de courant plus efficace dans lindustrie, tout en maintenant des incitatifs pour remplacer les combustibles fossiles par des technologies électriques. Les différents types de gaz restent une composante importante du bouquet énergétique pour les applications thermiques industrielles, mais les gaz synthétiques et biogènes jouent un rôle toujours plus important lorsquil sagit de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Effets à court terme de Covid-19
Létude ninclut pas les effets à court terme de la pandémie actuelle de Covid-19. Après la fermeture de larges pans de lindustrie dans le monde, les prix sur les marchés de lénergie se sont massivement effondrés. «Nos scénarios pour lavenir modélisent lévolution jusquen 2050, ils sont donc axés sur une perspective à beaucoup plus long terme», rappelle Tom Kober. Le chercheur admet quil nest pas exclu que les conséquences de la pandémie puissent avoir un impact à long terme. «Mais on ignore à quoi ce dernier ressemblera précisément, note-t-il. Je pars du principe que, dans le système énergétique, les dynamiques à long terme décrites dans nos scénarios se maintiendront.»
Texte: Institut Paul Scherrer/Sebastian Jutzi
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À propos du PSI
L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 407 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage). 5232 Le magazine de lInstitut Paul Scherrer vous donne un aperçu de la recherche passionnante du PSI avec des points focaux changeants trois fois par an.
Informations supplémentaires
Swiss Industry: Price Elasticities and Demand Developments for Electricity and Gas
https://www.aramis.admin.ch/Dokument.aspx?DocumentID=65688
Contact/interlocuteur
Dr Tom Kober
Chef du groupe Economie énergétique
Laboratoire danalyses des systèmes énergétiques
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 26 31, e-mail: tom.kober@psi.ch [allemand, anglais]