Lorsquune tâche fait appel à une connaissance intuitive, comme par exemple «soustraire, cest enlever», sa complexité passe souvent inaperçue. A linverse, lorsque lintuition nest pas mobilisée, comme lorsquil faut comprendre que soustraire cest «chercher lécart», la tâche est perçue comme difficile et paraît nécessiter le recours à des stratégies éducatives spécifiques. Des chercheurs de lUniversité de Genève (UNIGE) démontrent aujourdhui que les enseignants se trouvent parfois désarmés pour saisir la difficulté rencontrée par les élèves face à des problèmes apparemment intuitifs mais en réalité difficiles à résoudre. En effet, leurs résultats suggèrent que les enseignants font appel à leurs connaissances pédagogiques uniquement lorsque les problèmes semblent aller à lencontre des intuitions. Ces résultats, à lire dans la revue Educational Studies in Mathematics, soulignent limportance de former les enseignants aux pièges de lintuition, afin que lévidence apparente ne prenne pas le dessus sur la compréhension des difficultés des élèves.
«Sil y a quarante-deux vaches dans un pré, que cinq rentrent à la ferme et que je demande à lenfant combien de vaches il reste dans le pré, il pourra compter dans sa tête et me donner la réponse. La résolution intuitive de ce problème permet une projection mentale facile pour lenfant», expose Katarina Gvozdic, chercheuse à la Faculté de psychologie et des sciences de léducation (FPSE) de lUNIGE.
Les apprentissages à lécole peuvent être distingués en deux catégories selon quils sont conformes ou non aux connaissances intuitives. Lorsquune connaissance intuitive ce que nous expérimentons chaque jour dans la vie quotidienne coïncide avec une notion scolaire, nous sommes dans le domaine de validité de cette connaissance intuitive. Cest le cas de lexemple précédent. Dans le cas contraire, nous sommes en dehors de ce domaine de validité. «Ainsi, si je dis à lenfant que jai 5 billes, quaprès avoir joué une partie jen ai 42, et que je lui demande combien de billes jai gagnées, le problème ne se situe plus dans le domaine de validité des connaissances intuitives. Lenfant est tenté dy répondre en cherchant comment aller de 5 à 42 et non en soustrayant et se trouvera en échec», précise-t-elle. Cest pourquoi les enseignants considèrent quun problème mathématique conforme à la connaissance intuitive est plus facile à résoudre par les élèves quun problème en dehors de son domaine de validité. Ce dernier demandera en effet la mise en place de stratégies dapprentissage plus complexes.
Les raccourcis trompeurs de lintuition
Dès lors, les chercheurs de lUNIGE se sont demandés si les connaissances intuitives ont un réel impact sur la manière dont les enseignants conçoivent la difficulté de résolution dun problème mathématique par les élèves. «Pour répondre à cette question, nous avons confronté 36 professeurs de primaire et 36 personnes dautres professions à quatre cas de figure comparant à chaque fois deux problèmes mathématiques relevant ou non de la connaissance intuitive», expose Emmanuel Sander, professeur à la FPSE de lUNIGE. À chaque fois, les participants devaient dire quel problème était le plus facile à résoudre et pourquoi.
Les résultats montrent que lorsque le problème ne se situe pas dans le domaine de validité de la connaissance intuitive, les non enseignants ne réussissent pas à expliquer pourquoi il est plus difficile à résoudre que celui entrant dans le cadre de lintuition, contrairement aux enseignants qui disposent de connaissances pédagogiques permettant de poser un regard avisé sur cette problématique dapprentissage et ses solutions. «Jusque-là nous trouvions bien confirmation que lenseignement de la pédagogie portaient ses fruits», relève Katarina Gvozdic.
En revanche, létude a aussi mis en lumière que lorsquun problème difficile à résoudre fait malgré tout partie du domaine de validité de la connaissance intuitive, les enseignants se sont trouvés aussi démunis que les autres participants pour expliquer doù provient la difficulté. «Ceci démontre que les connaissances pédagogiques des enseignants séclipsent au profit de leur intuition dans certains contextes, ce qui les empêche de mesurer la difficulté que peut poser le problème mathématique aux jeunes élèves, quelles que soient les années dexpériences professionnelles», souligne-t-elle.
Séloigner des intuitions au profit des connaissances pédagogiques
De manière générale, la recherche montre un intérêt récent pour la conception quont les enseignants des processus dapprentissage des élèves, et cette étude démontre en particulier la puissance potentiellement néfaste du stéréotype qui veut que la connaissance intuitive facilite lapprentissage. «Nous montrons aujourdhui quil faut former les enseignants pour que leurs connaissances pédagogiques sexpriment aussi dans le champ de lintuition et quils surpassent les stéréotypes liés au rôle supposément facilitateur de lintuition», souligne Emmanuel Sander. Sans cela, les enseignants resteront piégés sur la nature aidante des connaissances intuitives, et seront désarmés pour saisir les difficultés que certains enfants éprouvent et pour y apporter les solutions adéquates. «Être formés sur les raccourcis trompeurs de lintuition leur permettrait au contraire de prédire les difficultés à venir, de les comprendre et daider au mieux les élèves dans les diverses phases de lapprentissage», conclut-il.
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Journal
Educational Studies in Mathematics