Des chercheurs du PSI ont développé une nouvelle méthode de tomographie qui leur a permis de mesurer en 3D les propriétés chimiques à lintérieur de matériaux catalytiques, de manière extrêmement précise et beaucoup plus rapidement quavec les techniques employées jusquici. Lapplication est tout aussi importante pour la recherche que pour lindustrie. Les chercheurs publient aujourdhui leurs résultats dans la revue spécialisée Science Advances.
Le groupe de matériaux des oxydes de vanadium et de phosphore (VPO) est largement utilisé comme catalyseur dans lindustrie chimique. Dans les années 1970 déjà, on recourait à des VPO pour fabriquer de lanhydride maléique; lanhydride maléique sert de matière première pour la fabrication de certains types de plastiques, notamment les plastiques biodégradables. Dans lindustrie, les matériaux catalytiques sont utilisés pendant plusieurs années, car bien quils jouent un rôle important pour le déroulement des réactions chimiques, ils ne sont pas consommés pendant ce processus. Néanmoins, du fait de cette utilisation, les catalyseurs VPO se modifient avec le temps.
Des chercheurs de deux unités de lInstitut Paul Scherrer PSI la division de recherche Sciences photoniques et la division de recherche Energie et environnement ont analysé précisément le vieillissement des VPO, en collaboration avec lETH Zurich et lentreprise Clariant AG. Dans la foulée, ils ont aussi développé une nouvelle méthode expérimentale.
Deux méthodes
La société Clariant AG est leader mondial dans le domaine de la chimie de spécialités. Elle a mis deux échantillons à disposition du PSI: un échantillon de VPO qui navait encore jamais été utilisé et un échantillon qui avait été employé pendant quatre ans comme catalyseur en exploitation industrielle. On sait depuis longtemps quau fil des années dutilisation, le VPO se modifie et perd quelque peu de ses propriétés catalytiques. Mais on ignorait jusquici quels étaient les processus responsables de ce phénomène au niveau de la nanostructure et des atomes.
Les chercheurs ont examiné cette question à laide de méthodes ultramodernes de caractérisation des matériaux. Pour visualiser la structure chimique des échantillons à léchelle nanométrique, ils ont combiné deux procédés: premièrement une méthode de tomographie développée auparavant au PSI, appelée tomographie par rayons X ptychographique, qui utilise les rayons X de la Source de Lumière Suisse SLS et permet de visualiser lintérieur de léchantillon sans lendommager avec une résolution de lordre du nanomètre. Deuxièmement, les chercheurs ont utilisé une méthode locale de spectroscopie de transmission, qui a mis en évidence les propriétés chimiques du matériau dans chaque élément de volume des tomographies.
«En fait, nous avons recueilli des données quadridimensionnelles, explique Johannes Ihli, chercheur au PSI et co-auteur de létude. Nous avons reconstruit une représentation en 3D à haute résolution de notre échantillon, où chaque élément de volume appelé voxel a une longueur darête de 26 nanomètres seulement. Par ailleurs, pour chaque voxel, nous disposons dun spectre quantitatif de la transmission des rayons X, dont lanalyse nous révèle précisément la chimie locale.»
A partir de ces spectres, les chercheurs ont déterminé certaines grandeurs chimiques fondamentales pour chaque voxel: la densité électronique, la concentration de vanadium et le degré doxydation du vanadium. Comme les catalyseurs VPO étudiés étaient ce quon appelle du matériau hétérogène, ces grandeurs changent aux différentes échelles sur tout le volume de léchantillon, déterminant ou limitant à leur tour la performance du matériau catalytique.
et un nouvel algorithme
La procédure pour obtenir ces données a consisté dabord à mesurer léchantillon pour obtenir une image projetée en 2D, puis à faire très légèrement pivoter cette dernière avant de la mesurer à nouveau, et ainsi de suite. Cette procédure a été répétée à différentes énergies. La méthode utilisée jusque-là aurait nécessité quelque 50 000 images 2D, qui auraient été assemblées pour former une centaine de tomographies. Tout cela aurait représenté environ une semaine de pur temps de mesure pour chacun des deux échantillons.
«Les stations expérimentales à la SLS sont très demandées et occupées pratiquement toute lannée, rappelle Manuel Guizar-Sicairos, lui aussi chercheur au PSI et directeur de cette étude. Nous ne pouvions pas nous permettre de conduire des mesures qui durent aussi longtemps.» Il fallait donc améliorer lefficacité du recueil de données.
Cest ce que Zirui Gao, principal auteur de létude, a réussi à accomplir sous la forme dun nouveau principe dextraction des données et dun algorithme de reconstruction associé. «La reconstruction en 3D dun objet nécessite lacquisition dimages 2D à différents angles, explique le chercheur. Mais notre algorithme est capable dextraire une quantité dinformation suffisante, même quand on multiplie par dix la distance entre les angles. Autrement dit, même si lon ne prend quun dixième des images en 2D.» De cette manière, les chercheurs nont eu besoin que denviron deux jours de mesure pour recueillir les données nécessaires. Ils ont gagné beaucoup de temps et économisé des coûts.
Pores dilatés et atomes manquants
Les mesures des deux échantillons ont montré que le VPO neuf présentait, comme on sy attendait, un grand nombre de pores serrés, régulièrement répartis dans le matériau. Ces pores sont importants, car ce sont eux qui mettent à disposition la surface au niveau de laquelle la catalyse peut se produire. Dans le VPO qui a été utilisé pendant quatre ans, en revanche, la structure à léchelle nanométrique est modifiée; les pores sont dilatés et moins nombreux. Le matériau entre ces derniers présente des formes cristallines plus grandes et allongées.
Au niveau moléculaire également, des changements sont intervenus: avec le temps, des espaces vides, aussi appelés trous, sont apparus dans le réseau atomique. Jusquici, on navait fait que soupçonner leur existence. Avec les nouvelles connaissances sur la chimie de ces échantillons à léchelle nanométrique, les chercheurs ont réussi à confirmer lexistence de ces trous et à déterminer leur position exacte: ils apparaissent à la place de certains atomes de vanadium qui manquent désormais. «On savait déjà auparavant que la teneur relative en vanadium diminuait avec le temps, explique Zirui Gao. Mais nous avons été les premiers à mettre en évidence les endroits où ces atomes manquent dans le réseau cristallin. Nos résultats confirment lhypothèse avancée jusque-là: à savoir que les espaces vides dans le réseau atomique peuvent servir de sites actifs supplémentaires pour le processus de catalyse.»
Cela signifie que laugmentation du nombre despaces vides a un effet bénéfique: ces derniers améliorent lactivité catalytique, freinant ainsi en partie la perte dactivité due à la diminution du nombre de pores. «Nos nouveaux résultats détaillés pourrait aider les entreprises de lindustrie à optimiser leurs catalyseurs et à allonger leur durée de vie», conclut Zirui Gao.
###
Texte: Institut Paul Scherrer/Laura Hennemann
Des images peuvent être téléchargées sur https://www.psi.ch/fr/node/45305?access-token=8KfdMiLRxpLF22A4.
Informations supplémentaires
Des nanomondes en 3D Texte du 11 mars 2020
https://www.psi.ch/fr/node/33008
Contact
Zirui Gao
Groupe de recherche Diffusion cohérente des rayons X
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 29 10, e-mail: zirui.gao@psi.ch [anglais, chinois]
Dr Manuel Guizar-Sicairos
Groupe de recherche Diffusion cohérente des rayons X
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 34 09, e-mail: manuel.guizar-sicairos@psi.ch [espagnol, anglais]
Dr Johannes Ihli
Groupe de recherche Diffusion cohérente des rayons X
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 40 50, e-mail: johannes.ihli@psi.ch [allemand, anglais]
Dr Mirko Holler
Laboratoire de macromolécules et bio-imagerie
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 36 13, e-mail: mirko.holler@psi.ch [allemand, anglais]
Publication originale
Sparse ab initio X-ray transmission spectro-tomography for nanoscopic compositional analysis of functional materials Z. Gao, M. Odstrcil, S. Böcklein, D. Palagin, M. Holler, D. Ferreira Sanchez, F. Krumeich, A. Menzel, M. Stampanoni, G. Mestl, J.A. van Bokhoven, M. Guizar-Sicairos, J. Ihli Science Advances 9 juin 2021 (en ligne) DOI: 10.1126/sciadv.abf6971
Journal
Science Advances