- Depuis les années 1960, le cimetière de Jebel Sahaba (vallée du Nil, actuel Soudan) était devenu lemblème du concept de guerre organisée durant la Préhistoire.
- Mais une ré-analyse des données plaide plutôt pour une succession de conflits de moindre ampleur.
- La compétition pour laccès aux ressources est probablement lune des causes des conflits dont témoigne ce cimetière.
Depuis sa découverte dans les années 1960, le cimetière de Jebel Sahaba (vallée du Nil, Soudan), vieux de 13 millénaires, était considéré comme lun des plus anciens témoignages de guerre à la Préhistoire. Des scientifiques du CNRS et de lUniversité Toulouse - Jean Jaurès (1) ont ré-analysé lensemble des ossements conservés au British Museum (Londres) et réévalué le contexte archéologique. Dans Scientific Reports le 27 mai 2021, ils montrent quil ne sagit pas dun unique conflit armé mais plutôt dune succession dépisodes violents, sans doute exacerbés par des changements climatiques.
Les ossements de nombreux individus inhumés à Jebel Sahaba portent des lésions produites, pour moitié, par des projectiles dont des pointes ont été retrouvées dans les os ou dans le volume où se trouvait le corps. Cependant, leur interprétation comme témoignage de mort de masse due à un conflit armé unique restait débattue jusquà ce quune équipe danthropologues, de préhistoriens et de géochimistes entreprenne de 2013 à 2019 une nouvelle étude des milliers dossements, dune centaine de pièces lithiques associées et du complexe funéraire (aujourdhui englouti par le lac Assouan).
Les ossements de 61 individus ont été réexaminés, y compris au microscope, afin de distinguer les traces de blessures de celles produites après lenfouissement. Une centaine de nouvelles lésions, cicatrisées ou non, ont pu être identifiées, certaines présentant des éclats lithiques non reconnus précédemment et encore fichés dans les os. En plus des 20 déjà identifiés, 21 autres squelettes ont des lésions, presque toutes évocatrices de violences interpersonnelles, comme des traces dimpacts de projectiles ou des fractures. Par ailleurs, 16 individus présentent à la fois des lésions cicatrisées et non cicatrisées, ce qui suggère des épisodes de violence répétés à léchelle de la vie dune personne et non dun conflit unique. Une hypothèse étayée par le fait que certains squelettes semblent avoir été perturbés par des inhumations plus tardives. De manière étonnante, hommes, femmes et enfants semblent avoir été traités de manière indifférenciée en termes de nombre et de type de lésions ou encore de la direction dont provenaient les projectiles (2).
Ces nouvelles données révèlent en outre que la majorité des lésions a été produite par des projectiles composites, des armes de jet (flèches ou lances) composées de plusieurs pièces lithiques tranchantes, dont certaines sont emmanchées latéralement. La présence de pointes diversement taillées, avec des variations dans lorientation du tranchant, suggère que lobjectif recherché était de lacérer et faire saigner la victime.
Ces nouveaux résultats permettent de rejeter l'hypothèse dun cimetière de catastrophe lié à une guerre unique. Ce site témoignerait plutôt dune succession de raids ou dembuscades plus limités envers ces chasseurs-pêcheurs-cueilleurs, à une époque de variations climatiques majeures (fin de la dernière période glaciaire et début de la période humide africaine). La concentration de sites archéologiques de cultures différentes dans une zone restreinte de la vallée du Nil à cette époque suggère que cette région devait constituer une zone refuge pour les populations humaines soumises à ces fluctuations climatiques. La compétition pour laccès aux ressources est donc probablement lune des causes des conflits dont témoigne le cimetière de Jebel Sahaba. Cette analyse, qui modifie lhistoire de la violence à la Préhistoire, invite à reconsidérer dautres sites de la même époque.
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Notes
(1) Aux laboratoires « De la Préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie » (CNRS/Université de Bordeaux/Ministère de la Culture), « Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements » (CNRS/Museum national dHistoire naturelle) et « Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés » (CNRS/Université Toulouse - Jean Jaurès/Ministère de la Culture).
(2) Des informations issues de la comparaison avec des travaux darchéologie expérimentale sur les techniques de chasse.
Journal
Scientific Reports