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Montréal, le 6 mai 2014 Un séduisant elfe des bois aux oreilles pointues Un ogre gigantesque à la peau bleue Une héroïne intimidante vêtue d'un plastron épousant des courbes plantureuses... Quand il est question de jeux vidéo, les participants peuvent choisir d'incarner pratiquement n'importe qui, ou n'importe quoi. Toutefois, les joueurs n'arrivent pas toujours à cacher leur véritable identité derrière leur avatar virtuel.
Même si un joueur de sexe masculin décide de prendre la forme d'un personnage féminin, certains signes de son identité sexuelle demeurent en effet visibles. C'est ce qu'ont pu démontrer des chercheuses de l'Université Concordia, de l'Université de l'État du Colorado, de l'Université de Syracuse, de l'Université de Toronto et de l'Université Hofstra dans le cadre d'une étude dont le compte rendu a récemment été publié dans la revue Information, Communication and Society.
Les chercheuses se sont penchées sur le comportement en ligne de 375 participants tandis qu'ils accomplissaient une mission conçue sur mesure pour le jeu en ligne multijoueur de masse World of Warcraft, campé dans un monde imaginaire. Les protagonistes y sont appelés à combattre seigneurs de guerre, dragons et démons, tout en se mesurant à d'autres joueurs afin de gagner en force et en habileté. Le but de l'étude : voir si les différences entre les sexes au regard des attitudes virtuelles sont fidèles aux normes sociales qui établissent une conduite « appropriée » chez les hommes et les femmes dans la réalité.
Parmi les participants, 23 pour cent des hommes et sept pour cent des femmes ont choisi des avatars du sexe opposé. Les mouvements virtuels, le clavardage et les clics des joueurs sur les objets interactifs ont été enregistrés tandis qu'ils évoluaient dans leur mission.
« Un avatar peut communiquer le sens de l'humour, le mécontentement, la curiosité et l'intérêt de celui ou de celle qui l'adopte, notamment par l'intermédiaire de signaux tels que les gestes, les mouvements et le langage, explique Mia Consalvo, professeure au Département de communication de l'Université Concordia et coauteure de l'étude.
« Or, ces signaux sont indicateurs de l'identité du joueur dans le monde réel. Nous nous sommes donc attardés aux aspects comme le langage utilisé et les mouvements en ligne pour voir si la véritable identité sexuelle des participants pouvait transparaître chez ceux et celles qui avaient choisi un personnage du sexe opposé. »
Les chercheuses ont découvert que les hommes qui adoptaient un avatar de sexe féminin employaient des phrases à caractère plus émotif et utilisaient davantage d'émoticônes que ceux qui jouaient un personnage de leur propre sexe. Les premiers étaient aussi plus portés à choisir un avatar séduisant.
C'est essentiellement par leurs gestes que les hommes pourvus d'un avatar de sexe féminin se trahissaient : ils reculaient plus souvent et gardaient davantage leurs distances par rapport au groupe, comparativement aux femmes campant un personnage de leur propre sexe.
« Le mouvement est moins conscient que la parole, précise la Pre Consalvo, qui est également titulaire d'une chaire de recherche du Canada sur l'étude et la conception des jeux. Les gestes peuvent donc constituer un indice plus fidèle de la véritable identité sexuelle du joueur. »
Par ailleurs, les hommes dont l'avatar était de sexe opposé avaient tendance à sauter davantage, soit 116 fois de plus en moyenne que les femmes jouant un personnage de leur propre sexe. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette observation apparemment étrange :
- les hommes jouant un personnage féminin pourraient essayer de signaler leur véritable identité sexuelle en sautant plus qu'ils ne le feraient autrement;
- parce que les hommes utilisent parfois un avatar féminin pour susciter l'intérêt ou obtenir un traitement plus favorable de la part des autres joueurs, le fait de sauter pourrait représenter un geste visant à attirer l'attention;
- sauter peut aussi être une façon d'utiliser l'avatar pour se divertir plutôt que pour combattre l'ennemi, tâche qu'on pourrait qualifier de plus « sérieuse » ainsi, en sautant plus fréquemment, le joueur pourrait vouloir montrer qu'il destine son avatar à un rôle moins sérieux.
Dans l'ensemble, l'étude intéressera autant les théoriciens du genre que les adeptes de jeux vidéo.
« Nos résultats viennent corroborer les théories féministes. En effet, bien que le genre constitue une catégorie sociale déterminante, il existe diverses manières de le manifester, affirme la Pre Consalvo.
« Il est possible que les hommes qui choisissent un avatar du sexe opposé ne cherchent pas nécessairement à masquer leur identité hors ligne. Notre étude révèle cependant qu'ils renforcent bel et bien par leur comportement les notions idéalisées d'apparence et de communication au féminin. »
Partenaires de recherche : L'étude a été codirigée par Rosa Mikeal Martey Université de l'État du Colorado; Jennifer Stromer‑Galley Université de Syracuse; Jaime Banks Université de Toronto; Jingsi Wu Université Hofstra; et Mia Consalvo Université Concordia.