La malnutrition chronique, le plus souvent associée à une inflammation de lintestin grêle, touche un enfant sur quatre de moins de cinq ans. Principale cause de mortalité infantile dans les pays à faible revenu, elle est également responsable dimportantes anomalies de développement. Cest ainsi pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents de la malnutrition chronique et mieux la prendre en charge que sest mis en place le projet Afribiota, mené par les instituts Pasteur de Paris, de Madagascar et de Bangui, en collaboration avec luniversité de la Colombie-Britannique (UBC), lInserm et le Collège de France. Aujourdhui, une première étude révèle les désordres subis par le microbiote des enfants malnutris, ainsi que lexistence dune signature bactérienne intestinale surprenante, caractérisée par la présence massive de bactéries dordinaires inféodées au nez et à la bouche. Ces résultats viennent dêtre publiés le 20 août dans la revue PNAS.
La malnutrition chronique touche un enfant sur quatre de moins de cinq ans dans le monde. Elle est responsable de plus 3 millions de morts chaque année et entraine des anomalies de développement cognitif et physique, comme des retards de croissance, difficiles à combler.
« Avec une prise en charge classique, cest-à-dire en apportant des micronutriments, en traitant les infections sous-jacentes et en donnant à lenfant une alimentation équilibrée et abondante, on ne peut corriger que 30 % des retards de croissance, souligne Pascale Vonaesch, docteur en microbiologie au sein de lunité de Pathogénie Microbienne Moléculaire de lInstitut Pasteur. Il semble donc vraiment exister des phénomènes que lon na pas encore élucidés ».
En effet, la malnutrition chronique nest pas uniquement liée à des problèmes dalimentation, mais également à des problèmes immunitaires et dinflammation chronique de lintestin dont on ne connaît pas encore tous les rouages. Cest pour en savoir plus sur les mécanismes sous-jacents de ces désordres et offrir une prise en charge plus efficace que le projet Afribiota, mené en collaboration avec les instituts Pasteur de Paris, Madagascar et Bangui, a vu le jour en 2016 [1].
Dans cette première étude, les chercheurs se sont intéressés à la flore intestinale des enfants, lun des objectifs étant de caractériser les populations bactériennes colonisant lintestin grêle des enfants malnutris.
« On sait que chez ces enfants, il existe une inflammation de lintestin. Les villosités de lintestin grêle en particulier satrophient et ce dernier ne remplit plus correctement son rôle dans la digestion et labsorption des nutriments », rappelle Philippe Sansonetti, médecin et chercheur en microbiologie au sein de lunité de Pathogénie Microbienne Moléculaire quil dirige à lInstitut Pasteur, et Professeur au Collège de France. « Mais on ne savait pas à quel point les populations bactériennes habituellement résidentes étaient modifiées ».
Pour élucider cette question, les selles et le liquide duodénal de 400 enfants vivant à Tananarive (Madagascar) et à Bangui (République Centrafrique), avec et sans problème de malnutrition chronique, ont été analysés. Des cultures bactériennes et des analyses metagénomiques, susceptibles de dévoiler lensemble des espèces microbiennes en présence, ont alors été réalisées et ont apporté des résultats étonnants.
« On sattendait à voir chez les enfants malnutris une augmentation des bactéries entéropathogènes, comme Campylobacter, Shigelles ou encore Salmonelles, commente Pascale Vonaesch. Mais en aucun cas des bactéries de la sphère oropharyngée ! » « Ce qui est aussi très surprenant, cest leur nombre, rajoute Philippe Sansonetti. On a déjà observé ce type de phénomène pour certaines maladies inflammatoires de lintestin ou le cancer du côlon, mais jamais des migrations aussi massives. Les bactéries sont 10 à 100 fois plus nombreuses que chez les témoins ».
Ainsi, les bactéries de la sphère oropharyngée dont certaines sont connues pour leurs propriétés inflammatoires semblent avoir littéralement franchi les barrières qui les confinent dordinaire au rhinopharynx et à la bouche, pour migrer vers et coloniser lestomac et lintestin. Une migration massive et inhabituelle que lon retrouve chez les enfants malnutris, quils soient malgaches ou centrafricains, autrement dit indépendamment de leur origine, de leurs habitudes alimentaires et de leur environnement.
Lorigine et les conséquences de cette signature bactérienne intestinale, caractéristique de la malnutrition chronique, restent à élucider, même si de premières hypothèses se dessinent. « On sait que les enfants touchés par la malnutrition ont aussi souvent une mauvaise hygiène buccale et des rhinopharyngites à répétition. Donc il pourrait y avoir une surcroissance de la flore buccale et rhinopharyngée qui serait ensuite avalée et arriverait, faute de contrôle efficace, vers le système digestif, avance Philippe Sansonetti. Ce sont des informations importantes à connaître pour ensuite pouvoir délivrer des messages de prévention efficace ».
À terme, cette signature bactérienne intestinale, auxquelles sajouteront les données des études épidémiologique, biologique et anthropologique du projet Afribiota, devrait aider à mieux cerner les causes de la malnutrition chronique, à en faciliter le diagnostic et finalement à mieux traiter ce fléau mondial.
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Le projet Afribiota est soutenu par la Fondation d'Entreprise Total, Odyssey Reinsurance Company, l'Institut Pasteur, la Nutricia Research Foundation et la Fondation Petram.
Pour plus dinformation : https://www.pasteur.fr/fr/institut-pasteur/institut-pasteur-monde/programmes-recherche-internationaux/malnutrition-infantile
Journal
Proceedings of the National Academy of Sciences