Le cerveau a la capacité didentifier et de traiter des stimuli sensoriels très divers afin den construire une représentation mentale. Mais cette représentation se modifie-t-elle avec le temps ? Est-il possible dapprendre à mieux trier et interpréter de tels stimuli ? En étudiant le système olfactif des mammifères, des neuroscientifiques de lUniversité de Genève (UNIGE) ont découvert le rôle complémentaire de deux types différents de neurones dans le traitement des informations olfactives et la réorganisation cérébrale différente qui en découle selon le contexte. Après avoir démontré quil était possible, en modulant linhibition de certains réseaux neuronaux, daugmenter la capacité à distinguer des odeurs similaires, ils expliquent aujourdhui pourquoi le cerveau doit faire appel à différents types de cellules pour former, maintenir et remodeler les représentations des odeurs. Cest en effet leur combinaison qui permet à la fois de reconnaître et de distinguer des odeurs semblables. Des résultats à lire dans la revue Neuron.
Deux types de neurones coexistent dans le bulbe olfactif des mammifères: les cellules mitrales et les cellules à panache. Toutes deux reçoivent les mêmes stimuli sensoriels venant du nez, mais font ensuite suivre ces informations à deux régions corticales différentes. Pourquoi cette apparente redondance ? Ces deux types de cellules jouent-ils le même rôle dans la construction des représentations mentales des odeurs ? «Nous voulions comprendre comment la représentation des odeurs et la capacité de distinctions se modifient au cours du temps. Est-ce que les neurones impliqués sont toujours les mêmes? Peut-on modifier ces représentations ? Grâce à de nouvelles techniques de microscopie par fluorescence, nous avons pu visualiser précisément, et sur plusieurs jours, le niveau dactivité des neurones de souris exposées à une variété dodeurs et ainsi observer si la représentation est stable dans une population cellulaire donnée», indiquent Alan Carleton et Ivan Rodriguez, professeurs respectivement au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine et au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de lUNIGE, qui ont dirigé ces recherches.
Les premières observations des scientifiques indiquent que lors dexpositions successives passives à différentes odeurs, le cerveau se réorganise à chaque fois, un peu comme si lon voyait le même objet sous un angle légèrement différent. Ainsi, la perception reste stable une odeur de banane reste une odeur de banane mais au niveau cérébral, cette perception est régie par des réseaux cellulaires en constante modification. Par ailleurs, les cellules mitrales comme les cellules à panache répondent de la même manière aux odeurs. Cette absence de différence notable traduirait le fait quelles reçoivent, au départ, les mêmes stimuli.
Des cellules spécialisées dans lapprentissage
«Nous ne nous sommes pas arrêtés là», poursuit le Dr. Yoshiyuki Yamada, co-premier auteur de létude. «Pour savoir si ces représentations évoluent lorsque lon apprend à distinguer et discriminer les odeurs, nous avons soumis nos souris à un apprentissage actif : elles recevaient une récompense lorsquelles parvenaient à distinguer des odeurs proches mais non identiques.» Comme ils sy attendaient, les scientifiques ont observé une réorganisation cérébrale au cours de lapprentissage. Lorsque lanimal apprend à discriminer les odeurs, les représentations au niveau des cellules mitrales sont de plus en plus différenciées. «Mais, à notre grande surprise, les cellules à panache, elles, ne montraient aucune modification associée à lapprentissage», ajoute le Dr. Khaleel Bhaukaurally, co-premier auteur de létude.
Ainsi, les cellules mitrales et les cellules à panache se comportent différemment, mais uniquement en cas dapprentissage actif. Malgré le fait quelles reçoivent toutes les mêmes informations, ce quelles en font est finalement différent. Toutefois le prix à payer lorsque lon discrimine, cest de perdre en partie la représentation initiale. Les cellules mitrales agissent donc sur la séparation des représentations, ce qui est essentiel pour pouvoir faire la différence entre des odeurs proches, tandis que les cellules à panache ont apparemment le rôle inverse de maintenir une similarité permettant de rattacher une odeur à un corpus dodeurs déjà connu. «Lorsque vous sentez un vin, vous savez quil sagit de vin, cest le travail des cellules à panache. Mais avec de lentraînement, vous parviendrez à en distinguer les subtiles différences grâce aux cellules mitrales», explique Alan Carleton. «Cest donc laction combinée des cellules mitrales et à panache qui permet daméliorer à long terme la discrimination des odeurs», conclut-il.
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Neuron