Le concept dinteropérabilité décrit la capacité de systèmes différents à communiquer. Cest un défi majeur en recherche biomédicale, et en particulier dans le domaine de la médecine personnalisée dont lun des fondements est la compilation et lanalyse de nombreuses bases de données. La pandémie COVID-19 a par exemple montré que même lorsque les contraintes techniques, juridiques et éthiques sont levées, les données restent difficiles à analyser en raison des aspects sémantiques liés au sens même de ces données. Sous légide du Swiss Personalized Health Network (SPHN), une équipe de scientifiques de lUniversité de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), en collaboration avec le SIB Institut Suisse de Bioinformatique et le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), est à la base de la stratégie pour une infrastructure nationale adoptée par lensemble des hôpitaux universitaires et des institutions académiques suisses. Avec son approche pragmatique, cette stratégie sappuie sur le développement dun cadre sémantique commun qui ne vise pas à remplacer les normes existantes, mais à les utiliser de manière synergique et flexible selon les besoins de la recherche et les partenaires engagés. La mise en uvre de cette stratégie, qui a déjà commencé, marque une étape cruciale pour stimuler la recherche et linnovation en faveur dune véritable médecine personnalisée en Suisse. A découvrir dans la revue JMIR Medical Informatics.
La médecine personnalisée est basée sur lexploitation et lanalyse de grandes quantités de données génomiques, épidémiologies ou encore issues de limagerie médicale pour en extraire du sens. Pour cela, il faut pouvoir croiser et agréger des données mutuellement intelligibles, même lorsquelles proviennent de sources très différentes.
Cest dans cette optique que la Confédération a créé, en 2017, le Swiss Personalized Health Network (SPHN), une initiative placée sous la direction de lAcadémie suisse des sciences médicales en collaboration avec le SIB, qui vise à favoriser lutilisation et léchange de données relatives à la santé pour la recherche. «En effet, malgré dimportants investissements au cours de la dernière décennie, de grandes disparités existent encore», souligne Christian Lovis, directeur du Département de radiologie et informatique médicale de la Faculté de médecine de lUNIGE et médecin-chef du Service des sciences de linformation médicale des HUG. «Cest pourquoi nous avons voulu, avec nos partenaires et le SPHN, proposer une stratégie et des standards communs suffisamment flexibles pour accommoder toutes sortes de bases de données actuelles et futures.»
Une stratégie en trois piliers
Nous communiquons sur trois grands standards: le sens que lon donne aux choses, car il sagit de convenir dune base commune pour se comprendre; un standard technique ensuite le son, avec lequel nous parlons; et enfin lorganisation du sens et du son avec des phrases et une grammaire pour structurer la communication de manière intelligible. «Concernant les données, cest la même chose, explique Christophe Gaudet-Blavignac, chercheur au sein de léquipe dirigée par Christian Lovis. Il faut convenir dune sémantique, pour représenter conceptuellement ce qui doit être communiqué. Puis il faut un langage compositionnel, pour associer ces sens avec toute la liberté requise pour exprimer tout ce qui doit lêtre. Et finalement, selon les projets et les communautés de recherche impliquées, ceci sera traduit en fonction des besoins dans des modèles de données, qui sont aussi nombreux que les langues parlées dans le monde.»
«Notre but a donc été dunifier les vocabulaires de sorte quils puissent être communiqués dans nimporte quelle grammaire, plutôt que de créer de toutes pièces un nouveau vocabulaire que tout le monde devrait réapprendre», indique Christian Lovis. «Dans ce sens, le fédéralisme est un immense avantage: il nous a obligé à penser une stratégie décentralisée qui peut être appliquée partout. La contrainte a créé lopportunité de développer un système qui fonctionne en dépit des langues, des cultures et des réglementations locales.» Cela permet de moduler la gestion des données pour navoir quà adapter la dernière étape aux formats demandés par tel ou tel projet celui de la Food and Drug Administration (FDA) en cas de collaboration avec une équipe américaine, par exemple, ou celui utilisée par tel ou tel autre pays ou initiative de recherche. Une garantie de compréhension mutuelle et un gain de temps immense.
Aucune conséquence sur la protection des données
Pour autant, interopérabilité des données ne signifie pas partage systématique de celles-ci. «Le monde bancaire, par exemple, a depuis longtemps adopté des standards mondiaux dinteropérabilité, souligne Christophe Gaudet-Blavignac. Un simple IBAN permet de transférer de largent de nimporte quel compte à nimporte quel autre. Cela ne signifie pas pour autant que tout un chacun, individus, organismes privés ou gouvernementaux, peut savoir ce quil y a sur ces comptes sans un cadre légal strict.» Il faut en effet distinguer les instruments qui permettent de créer linteropérabilité de leur mise en uvre, dune part, et du cadre légal et législatif qui entoure leur accessibilité dautre part.
Mise en uvre de la stratégie
Cette stratégie a été mise en uvre par étapes en Suisse depuis le milieu de lannée 2019, dans le cadre du Swiss Personalized Health Network. «Les hôpitaux universitaires suisses suivent déjà la stratégie proposée pour partager des données interopérables pour tous les projets de recherche multicentriques financés par linitiative SPHN», rapporte Katrin Crameri, directrice du groupe Informatique de santé personnalisée au SIB, en charge du centre de coordination des données SPHN. En outre, certains hôpitaux commencent à mettre en uvre cette stratégie au-delà de linitiative SPHN.
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JMIR Medical Informatics