image: This is an image of human cells. Not1 expression has been suppressed and the «partner» proteins do not assemble (distinct red and green dots.) view more
Credit: © Syam Prakash Somasekharan, Vancouver Cancer Institute
Pour exécuter correctement la tâche pour laquelle elles ont été synthétisées, les protéines doivent dabord sassembler pour constituer des «machines» cellulaires efficaces. Mais comment font-elles pour reconnaître leurs partenaires au bon moment ? Des chercheurs de lUniversité de Genève (UNIGE) décryptent le rôle fondamental de la protéine Not1, conservée dans tous les organismes eucaryotes : en régulant lactivité des ribosomes les «usines à protéines» de nos cellules Not1 permet aux protéines devant travailler ensemble dêtre synthétisées au même endroit et au même moment. En identifiant ce mécanisme inconnu jusquici, les scientifiques genevois permettent de mieux comprendre lun des éléments les plus fondamentaux de la machinerie cellulaire, qui, sil dysfonctionne, pourrait être à lorigine de nombreuses pathologies. Des résultats à découvrir dans la revue Nature Structural & Molecular Biology.
Dans les cellules humaines, comme chez tous les organismes eucaryotes, le matériel génétique se trouve dans le noyau sous forme dADN. Pour effectuer le programme génétique contenu dans lADN, celui-ci est dabord transcrit en ARN, qui à son tour traduit ce programme en protéines grâce aux ribosomes, des petites machines qui produisent les protéines en décodant lARN.
Une fois synthétisées, les protéines arrivent dans le cytoplasme, la partie de la cellule située entre le noyau et la membrane, là où se déroule lessentiel de lactivité cellulaire. Cependant, pour fonctionner correctement, les protéines doivent sassembler pour former des «machines» cellulaires et exécuter les tâches pour lesquelles elles ont été produites. «Or, le cytoplasme est encombré de quantités de protéines, RNAs et organelles», souligne Martine Collart, professeure à la Faculté de médecine de lUNIGE, qui a dirigé ces travaux. «Imaginons un concert géant auquel doit participer un groupe de musiciens. La salle, bondée de spectateurs, comporte des dizaines de portes. Comment les musiciens, au milieu de cette foule immense, vont-ils tous se retrouver à temps pour se produire ? Cest un peu ce qui se passe à chaque instant dans le cytoplasme: les protéines appartenant à un même complexe cellulaire doivent se trouver et sassembler pour fonctionner correctement.»
Not1, protéine multifonction de léchafaudage cellulaire
Mais comment les protéines se retrouvent-elles ? Cest là quintervient Not1, une très grosse protéine qui joue le rôle déchafaudage et de balise pour permettre lassemblage des protéines selon le programme génétique quelles doivent exécuter. Les chercheurs genevois sont parvenus à démontrer que lARN messager sassocie à Not1 avant même la fabrication des protéines. Ainsi, lorsque lARN commence à être lu, les protéines sont synthétisées côte à côte. Fabriquées à proximité, elles nont plus de difficultés à sassembler, «comme si tous nos musiciens étaient entrés par la même porte !», senthousiasme Martine Collart.
Pour confirmer leur hypothèse, les chercheurs ont étudié une machinerie cellulaire, le protéasome, dont la fonction est de dégrader les protéines mal formées, inutiles ou obsolètes. Un mécanisme important qui, lorsquil est perturbé, peut causer différentes maladies, dont de nombreuses maladies neuro-dégénératives, caractérisées justement par un surplus de protéines agrégées qui nont pas été dégradées. En empêchant lexpression de Not1, les scientifiques ont observé que les protéines du protéasome nétaient plus en mesure de sassembler pour accomplir leur tâche.
Not1 a été identifiée par la professeure Collart en 1990 déjà. «Jai passé près de 30 ans à comprendre son rôle exact, et surtout à démontrer pourquoi Not1 est un élément absolument essentiel au bon fonctionnement cellulaire et conservé dans tous les organismes eucaryotes, de la levure aux êtres humains . Mais pour apporter la preuve de ce que javançais, il a fallu attendre le développement dune nouvelle technologie, décrite pour la première fois il y a seulement neuf ans, qui permet détudier «en direct» la traduction des ARN messagers en protéines.»
Tout est affaire de rythme
Cette technologie appelée «profil de ribosome» permet dobserver la progression de la synthèse protéique par le ribosome. Les chercheurs ont rapidement constaté que, loin de travailler à une vitesse constante, le ribosome fait souvent des pauses plus ou moins longues avant de redémarrer. Lors dune pause, les portions de protéines déjà synthétisées commencent sans tarder à sassocier à leurs «partenaires». Ces interruptions ne semblent donc ne rien devoir au hasard, mais au contraire permettent aux protéines de sassembler rapidement et de manière ordonnée en limitant le risque dinterférence. Not1 permettrait donc non seulement aux protéines de sassembler, mais régulerait aussi le rythme de travail des ribosomes. En mettant au jour un mécanisme cellulaire aussi fondamental, ces travaux montrent quun mauvais fonctionnement de Not1 pourrait être une clé intéressante pour la compréhension de bon nombre de pathologies. «Afin daffiner nos analyses, nous avons effectué en parallèle des profils de ribosome sur des cellules cancéreuses humaines et sur des cellules saines et nous avons observé dimportantes différences de rythme. Mais comment ce rythme est-il contrôlé ? Serait-il possible dintervenir ? Ce sont quelques-unes des nombreuses questions auxquelles nous devons encore répondre», conclut Martine Collart.
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Journal
Nature Structural & Molecular Biology