Les amas détoiles sont formés par la condensation de nuages moléculaires, des ensembles de gaz froid et dense présents dans toutes les galaxies. Les propriétés physiques de ces nuages dans notre galaxie ou dans les galaxies proches sont connues depuis longtemps. Mais sont-elles identiques dans les galaxies lointaines, situées à plus de 8 milliards dannées-lumière? Grâce à une résolution jamais égalée jusquà aujourdhui dans une galaxie lointaine, une équipe internationale, dirigée par lUniversité de Genève (UNIGE), a pu détecter pour la première fois des nuages moléculaires dans une Voie Lactée en devenir. Ses observations, publiées dans la revue Nature Astronomy, démontrent que ces nuages ont une masse, une densité et des turbulences internes plus élevées que dans les galaxies proches et produisent bien plus détoiles. Les astronomes attribuent ces différences aux conditions interstellaires ambiantes des galaxies lointaines, trop extrêmes pour la survie des nuages moléculaires typiques des galaxies proches.
Les nuages moléculaires sont constitués de gaz dhydrogène moléculaire dense et froid qui tourbillonne à des vitesses supersoniques, provoquant des fluctuations de densité qui se condensent et forment les étoiles. Dans les galaxies proches, comme la Voie Lactée, un nuage moléculaire produit entre 1000 et 1000000 détoiles. Pourtant, dans les galaxies lointaines, situées à plus de 8 milliards dannées-lumière, les astronomes observent des amas gigantesques contenant jusquà 100 fois plus détoiles. Pourquoi une telle différence?
Une observation inégalée grâce à une loupe cosmique
Pour répondre à cette question, les astronomes ont pu bénéficier dun télescope naturel le phénomène de lentille gravitationnelle , couplé à lusage dALMA (Atacama Large Millimeter/submillimiter Array), un interféromètre de 50 antennes radios millimétriques qui reconstruisent limage entière dune galaxie de manière instantanée. «Les lentilles gravitationnelles sont un télescope naturel qui produit un effet de loupe grâce à lalignement dun objet massif entre lobservateur et lobjet lointain, explique Miroslava Dessauges, chercheuse au Département dastronomie de la Faculté des sciences de lUNIGE et première auteure de létude. Grâce à cet effet, nous obtenons des zooms sur des parties des galaxies lointaines que nous pouvons alors étudier avec une résolution encore jamais égalée de 90 années-lumière!» ALMA, quant à lui, permet de mesurer le niveau de monoxyde de carbone qui sert de traceur du gaz dhydrogène moléculaire qui constitue le nuage froid.
Cette résolution a permis de caractériser les nuages de manière individuelle dans une galaxie lointaine, surnommée le Serpent Cosmique, située à 8 milliards dannées-lumière. «Cest la première fois que nous pouvons différencier les nuages moléculaires les uns des autres», senthousiasme Daniel Schaerer, professeur au Département dastronomie de la Faculté des sciences de lUNIGE. Les astronomes ont ainsi comparé la masse, la taille, la densité et les turbulences internes entre les nuages moléculaires des galaxies proches et lointaines. «On pensait que les nuages avaient les mêmes propriétés, quels que soient le temps et les galaxies, poursuit le chercheur genevois, mais nos observations ont démontré le contraire!»
Des nuages moléculaires résistants aux environnements extrêmes
En effet, ces premières observations ont révélé que les nuages moléculaires des galaxies lointaines avaient une masse, une densité et des turbulences de 10 à 100 fois plus élevées que les nuages des galaxies proches. «De telles valeurs avaient uniquement été mesurées dans des nuages de galaxies proches entrées en collision, rendant leur milieu interstellaire semblable à celui des galaxies lointaines», complète Miroslava Dessauges. Les chercheurs ont ainsi mis en relation ces différences de propriétés physiques des nuages avec les environnements des galaxies, plus extrêmes et hostiles dans les galaxies lointaines que ceux de leurs surs proches: «un nuage moléculaire de galaxie proche se retrouverait instantanément collapsé et détruit dans le milieu interstellaire des galaxies lointaines, doù ses propriétés multipliées pour garantir sa survie et son équilibre», explique la chercheuse genevoise. «Hasard ou pas hasard, la masse caractéristique des nuages moléculaires du Serpent Cosmique apparait en parfait accord avec notre scénario de fragmentation de disques galactiques turbulents, proposé comme mécanisme de formation de nuages moléculaires massifs dans les galaxies lointaines», se réjouit Lucio Mayer, professeur au Centre de théorie physique et cosmologique de lUniversité de Zurich.
Léquipe internationale a aussi découvert que le niveau defficacité de formation détoiles des nuages moléculaires du Serpent Cosmique est particulièrement élevé, favorisé par les grandes turbulences internes des nuages. «Dans les galaxies proches, un nuage forme en étoiles environ 5% de sa masse. Dans les galaxies lointaines, ce chiffre grimpe à 30%», observe Daniel Schaerer.
Les astronomes vont à présent étudier dautres galaxies lointaines, afin de confirmer leurs observations faites sur le Serpent Cosmique. «Nous allons également pousser encore plus loin la résolution en profitant des performances uniques de linterféromètre ALMA et investiguer plus en détail sur cette capacité des nuages moléculaires observés dans les galaxies lointaines à former des étoiles si efficacement», conclut Miroslava Dessauges.
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Journal
Nature Astronomy