Une équipe internationale réunissant des chercheurs de lInstitut Paul Scherrer PSI et du Brookhaven National Laboratory (BNL) a développé une nouvelle méthode danalyse complexe par rayons X qui peut permettre de mieux comprendre ce quon appelle les matériaux fortement corrélés. Ces matériaux pourraient être utiles dans les domaines de la supraconductivité, du traitement des données ou encore des calculateurs quantiques. Les chercheurs présentent aujourdhui leurs travaux dans la revue spécialisée Physical Review X.
Dans des matériaux comme le silicium ou laluminium, la répulsion mutuelle des électrons na pratiquement aucun effet sur les propriétés du matériau. Il en va tout autrement dans ce quon appelle les matériaux fortement corrélés, où les électrons interagissent fortement les uns avec les autres. Le mouvement dun électron dans les matériaux fortement corrélés entraîne une réaction coordonnée et complexe des autres électrons. Ces processus couplés sont ce qui rend ces matériaux fortement corrélés si prometteurs pour des applications pratiques, mais également si compliqués à comprendre.
Les matériaux fortement corrélés sont des candidats pour des nouveaux supraconducteurs à haute température, capables de conduire le courant sans perte et qui trouvent une application en médecine dans la résonance magnétique nucléaire. Leurs composants électroniques peuvent aussi être utilisés pour construire des calculateurs quantiques permettant de traiter et de stocker les données de manière plus efficace.
«Les matériaux fortement corrélés présentent une abondance de phénomènes fascinants, explique Thorsten Schmitt, responsable au PSI du groupe de recherche Spectroscopie de matériaux nouveaux. Mais comprendre et exploiter le comportement complexe qui sous-tend ces phénomènes reste un grand défi.» Thorsten Schmitt et son groupe de recherche s'attèlent à cette tâche à laide dune méthode qui recourt aux rayons X intenses et extrêmement précis de la Source de Lumière Suisse SLS au PSI. Ce procédé moderne, qui na cessé dêtre amélioré au cours des dernières années au PSI également, est appelé diffusion inélastique résonante des rayons X ou RIXS pour Resonant Inelastic X-ray Scattering.
Les rayons X excitent les électrons
Avec RIXS, des rayons X mous sont diffusés sur un échantillon. Le faisceau de rayons X incident est précisément ajusté pour pouvoir faire passer les électrons dune orbitale électronique inférieure vers une orbitale supérieure. Autrement dit, des résonances spéciales sont stimulées, ce qui déséquilibre le système. Différents processus électrodynamiques le ramènent à létat initial. Ce faisant, lénergie excédentaire est en partie réémise sous forme de lumière de type rayon X. Le spectre de ce rayonnement diffusé de manière inélastique fournit des informations sur les processus sous-jacents et donc sur la structure électronique du matériau.
«Au cours des dernières années, RIXS a évolué et est devenu un puissant outil expérimental pour déchiffrer la complexité des matériaux fortement corrélés», explique Thorsten Schmitt. On sen est surtout servi pour étudier des isolants fortement corrélés, ce qui fonctionne très bien. Mais dans le cas des métaux fortement corrélés, cette méthode a échoué jusquici. Elle sest heurtée à linterprétation de spectres extrêmement compliqués, qui est due aux nombreux processus électrodynamiques divers qui se jouent pendant la diffusion. «La collaborations avec des théoriciens est indispensable, souligne Thorsten Schmitt. Car ils sont capables de simuler les processus observés dans le cadre de lexpérience.»
Calculs de matériaux fortement corrélés
Keith Gilmore, physicien théoricien, qui travaillait à lépoque au Brookhaven National Laboratory (BNL) aux États-Unis et mène aujourdhui ses recherches à lUniversité Humboldt de Berlin, est spécialisé dans ce domaine. «Le calcul des résultats RIXS de matériaux fortement corrélés est difficile parce quil faut traiter simultanément plusieurs orbitales électroniques, de larges gammes d'énergie et un grand nombre dinteractions électroniques», explique Keith Gilmore. Les isolants fortement corrélés sont plus faciles à gérer car il y a moins dorbitales impliquées, ce qui permet de procéder à des calculs de modèles qui prennent explicitement en compte tous les électrons. «Dans notre nouvelle méthode de description des processus RIXS, nous combinons à présent les contributions qui résultent de lexcitation dun électron avec la réaction coordonnée de tous les électrons», précise Keith Gilmore.
Pour tester ce calcul, les chercheurs au PSI ont mené des expérience avec un matériau que Jonathan Pelliciari, scientifique au BNL, avait étudié en détail dans le cadre de sa thèse de doctorat au PSI: un arséniure de baryum et de fer. Lorsquon lui ajoute une certaine quantité datomes de potassium, ce matériau devient supraconducteur. Il fait donc partie dune classe de supraconducteurs à haute température non conventionnels à base de fer, qui devrait permettre de mieux comprendre le phénomène. «Jusquici, linterprétation des mesures RIXS menées sur des matériaux aussi complexes était avant tout guidée par lintuition, relève Jonathan Pelliciari. Maintenant, ces calculs RIXS nous donne, à nous expérimentateurs, un cadre qui nous permet dinterpréter plus concrètement les résultats. Nos mesures RIXS au PSI sur larséniure de baryum et de fer coïncident impeccablement avec les profils calculés.»
Combiner expérience et théorie
Lors de leurs expériences, les chercheurs ont analysé les phénomènes physiques qui se jouent autour de latome de fer. « Un avantage de RIXS, cest quon peut se concentrer sur certains composants en particulier et les étudier précisément pour les matériaux composés de plusieurs éléments», explique Thorsten Schmitt. Le faisceau de rayons X bien ajustés à la bonne énergie fait passer un électron d'un niveau de cur de latome de fer à la bande de valence supérieure qui nest que partiellement occupée. Cette excitation de l'électron central peut provoquer des excitations secondaires et déclencher de nombreux processus de désexcitation compliqués qui se manifestent pour finir par des structures satellites spectrales particulières (voir illustration).
Comme les contributions des nombreuses réactions sont parfois petites et rapprochées, il est difficile de déterminer quelles sont les processus qui se sont véritablement produits lors de lexpérience. Là, il est utile de combiner expérience et théorie. «Si lon na pas de support théorique lors dexpériences difficiles, on ne peut pas comprendre en détail les processus, cest-à-dire les lois physiques qui les régissent», affirme Thorsten Schmitt. Avant de souligner que le même constat vaut pour la théorie : «Souvent, on ignore quelles théories sont réalistes tant quon na pas pu les comparer dans le cadre dune expérience, rappelle-t-il. Le progrès de la compréhension se fait notamment lorsquon conjugue expérience et théorie. Cette méthode descriptive pourrait donc devenir une référence pour linterprétation dexpériences spectroscopiques menées sur des matériaux fortement corrélés.»
Léquipe internationale présente ses travaux dans la revue spécialisée Physical Review X.
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Texte: Barbara Vonarburg
Informations supplémentaires
Les physiciens observent la séparation dun électron dans un corps solide http://psi.ch/a7kAA propos du PSI
L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 400 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag, l'Empa et le WSL. Paraissant trois fois par an, le magazine de lInstitut Paul Scherrer donne, grâce à des dossiers variés, un aperçu des recherches passionnantes menées au PSI https://www.psi.ch/fr/media/5232-le-magazine-du-psi
Contact
Dr Thorsten Schmitt
Responsable du groupe de recherche Spectroscopie de matériaux innovants
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 37 62, e-mail: thorsten.schmitt@psi.ch [allemand, anglais ]
Dr Keith Gilmore
Institut de physique et IRIS Adlershof, Physique théorique de la matière condensée
Université Humboldt de Berlin
Zum Großen Windkanal 2, 12489 Berlin, Allemagne
Téléphone: +49 30 2093 66370, e-mail: keith.gilmore@physik.hu-berlin.de
Dr Jonathan Pellicari
Brookhaven National Laboratory, National Synchrotron Light Source II
P.O. Box 5000, Upton, NY 11973-5000, États-Unis
Téléphone: +1 631 344 6223, e-mail: pelliciari@bnl.gov
Publication originale
Description of resonant inelastic x-ray scattering in correlated metals Keith Gilmore, Jonathan Pelliciari, Yaobo Huang, Joshua J. Kas, Marcus Dantz, Vladimir N. Strocov, Shigeru Kasahara, Yuji Matsuda,Tanmoy Das, Takasada Shibauchi, and Thorsten Schmitt. Physical Review X, 19.07.2021 DOI: 10.1103/PhysRevX.11.031013
Journal
Physical Review X