La leishmaniose est une maladie humaine et animale causée par les parasites Leishmania. Elle touche 12 millions de personnes et est endémique dans une centaine de pays. Elle émerge à présent en Europe en raison de changements climatiques et de déplacements massifs de population. Le parasite Leishmania est connu pour sadapter rapidement à de nouveaux environnements, avec des conséquences importantes sur lévolution de la maladie. LUnion européenne a, par conséquent, reconnu la leishmaniose comme une menace émergente pour la santé publique. Dans un article publié par la revue Nature Ecology & Evolution, des chercheurs de lInstitut Pasteur à Paris et du Centre de régulation génomique (CRG) de Barcelone, en collaboration avec des équipes de lInstitut de médecine tropicale (IMT) dAnvers et de lUniversité de Montpellier, apportent la preuve que ladaptation des leishmanies résulte damplifications chromosomiques fréquentes et réversibles. Ces variations, appelées aneuploïdies, sont semblables à celles constatées dans de nombreux types de cancers. Ces découvertes représentent une avancée considérable dans la compréhension de linfection humaine à Leishmania, notamment en termes de pharmaco-résistance des parasites, de pathogénicité et de tropisme tissulaire. Cette perspective inédite de linstabilité génomique chez les leishmanies devrait ouvrir la voie à lidentification des mécanismes de résistance de ces parasites aux médicaments dans des conditions cliniquement pertinentes et contribuer à identifier des biomarqueurs ayant une valeur de diagnostic et de pronostic.
*********
La leishmaniose compte parmi les cinq principales maladies parasitaires dans le monde. On estime à 350 millions le nombre de personnes exposées au risque dinfection. Les manifestations cliniques de cette maladie sont variées des formes cutanées défigurantes aux formes viscérales mortelles et dépendent des différentes espèces parasitaires responsables de linfection. Les parasites unicellulaires Leishmania sadaptent à une multitude dhôtes. Ils se développent sous leur forme extracellulaire dans des insectes appelés phlébotomes qui les transmettent ensuite à divers hôtes vertébrés, tels que les rongeurs, les chiens et les humains. Chez ces derniers, ils évoluent et prolifèrent au sein des cellules immunitaires, principalement dans les macrophages, causant des pathologies graves et parfois mortelles.
Compte tenu de son incidence mondiale, la leishmaniose est lune des maladies les plus négligées. Aucun vaccin humain nexiste, et seuls quelques traitements sont disponibles, lesquels présentent des limitations notables en termes dadministration, de toxicité ou de coût. De plus, la biologie des leishmanies se caractérise par la capacité de ces parasites à sadapter aux diverses fluctuations rencontrées à lintérieur de lhôte humain, notamment en réponse aux interventions pharmacologiques, ce qui nest pas sans conséquence sur la progression de la maladie, comme démontré par lémergence disolats cliniques résistants aux médicaments.
Pour identifier les mécanismes génétiques qui conduisent à ladaptation génomique de Leishmania, des chercheurs de lInstitut Pasteur à Paris et du Centre de régulation génomique (CRG) de Barcelone, en collaboration avec des équipes de lInstitut de médecine tropicale (IMT) dAnvers et de lUniversité de Montpellier, ont développé des techniques inédites de génomique comparative sappuyant sur des analyses in silico et sur le séquençage de nouvelle génération (NGS). Leur travail montre pour la première fois lexistence dun rapport entre lévolution du nombre de copies chromosomiques et la sélection de nouveaux allèles nécessaires à la survie des leishmanies.
Laspect le plus surprenant de leur recherche réside dans lobservation de laptitude de Leishmania à allier sélection dallèles et maintien dune grande diversité génétique. Ces deux processus devraient normalement sexclure mutuellement, et lon sattendrait plutôt à ce quun parasite soumis à une forte sélection perde rapidement sa diversité génétique. Cest en tout cas ce qui se passerait si les duplications chromosomiques très fréquentes ne rendaient possible la coexistence dun processus de sélection avec un maintien significatif de la diversité génétique. En effet, les duplications fréquentes permettent à une même combinaison dallèles dêtre sélectionnée simultanément dans des individus génétiquement différents.
À la tête de lunité Parasitologie moléculaire et signalisation à lInstitut Pasteur à Paris, Gérald Späth, qui a dirigé la partie expérimentale de cette étude, commente : « La recherche fondamentale, appliquée et clinique sur Leishmania est presque exclusivement menée à laide de parasites maintenus en culture à long terme. Notre étude montre que le génome de ces parasites évolue très vite en laboratoire. Cet aspect doit être pris en compte lors de létude de leur biologie et de la recherche de nouveaux biomarqueurs, médicaments ou candidats vaccins. À lavenir, les recherches sur les leishmanies doivent sappuyer sur une méthode plus intégrative, qui considère les interactions génétiques complexes entre le parasite, lhôte vertébré et linsecte vecteur, et être réalisées dans des conditions cliniquement pertinentes, par exemple à laide de parasites en culture à court terme ou par séquençage direct des tissus. »
Directeur de recherche au Centre de régulation génomique (CRG) de Barcelone, Cédric Notredame, qui a dirigé la partie « génomique comparative » de cette étude, explique : « Lidée que lamplification génétique est une voie dadaptation nest pas nouvelle, mais notre travail montre que chez Leishmania, lévolution a intensifié ce mécanisme au point den faire une partie essentielle du cycle de vie des parasites. Un nombre croissant de travaux révèlent que des aneuploïdies tout aussi complexes jouent un rôle dans certains cancers, et nous pensons que le recueil rapide de données génomiques NGS associé à des techniques in silico inédites, comme celles développées dans notre étude, permettra bientôt de mieux comprendre les relations entre aneuploïdie et sélection dallèles. »
Le Professeur Jean-Claude Dujardin, de lIMT, souligne : « Il nous a fallu plus de cinq ans pour collecter un jeu de données de séquençage sans précédent à partir disolats cliniques du sous-continent indien et den publier une première analyse lannée dernière. En rendant publiques toutes les données de séquençage, la science moderne donne libre cours à de nouvelles collaborations et des études comme la nôtre. Elle a également permis de créer une alliance inédite entre lIMT, lInstitut Pasteur et le CRG dans la lutte contre cette maladie infectieuse. »
Les résultats de cette étude originale savèrent hautement pertinents pour dautres maladies humaines reposant sur linstabilité génomique, telles que les infections fongiques et les cancers. Ils offrent aussi des perspectives inédites de découverte de médicaments anti-leishmaniose via des stratégies ciblant lhôte, cest-à-dire la dépendance métabolique des parasites vis-à-vis de la cellule hôte, et empêchant ainsi lévolution adaptative des parasites résistants aux médicaments.
Fort des résultats publiés dans cet article et animé par la volonté détudier la biologie et lépidémiologie de Leishmania dans un contexte cliniquement plus pertinent, le Dr Gérald Späth a créé le consortium international « LeiSHield » (http://www.leishield.org), qui coordonne leffort collectif des équipes partenaires, notamment du Réseau international des instituts Pasteur. Ce consortium a reçu une aide financière initiale de la direction internationale de lInstitut Pasteur et bénéficie désormais dune subvention d1,7 million deuros du programme européen Horizon 2020.
###
Journal
Nature Ecology & Evolution