Les graines restent dans un état de dormance - un blocage temporaire de leur croissance - tant que les conditions environnementales ne sont pas idéales pour germer. La profondeur de ce sommeil, qui est influencée par différents facteurs, est héritée de leur mère, comme lavaient montré des chercheurs de lUniversité de Genève (UNIGE). Ils révèlent aujourdhui dans la revue eLife comment cette empreinte maternelle est transmise grâce à de petits fragments dARN dits interférents, qui inactivent certains gènes. Les biologistes dévoilent également quun mécanisme similaire permet de transmettre une autre empreinte, celle des températures présentes au cours du développement de la graine. Plus cette température était basse, plus le niveau de dormance de la graine sera élevé. Ce mécanisme permet à la graine doptimiser le moment de sa germination. Linformation est ensuite effacée dans lembryon germé, pour que la génération suivante puisse stocker de nouvelles données sur son environnement.
La dormance est mise en uvre pendant le développement des graines dans la plante mère. Cette propriété permet aux graines de germer pendant la bonne saison, déviter que tous les rejetons dune plante se développent au même endroit et entrent en compétition pour des ressources limitées, et favorise la dispersion des plantes. Les graines perdent également leur dormance à des échéances variables. «Des sous-espèces dune même plante peuvent avoir différents niveaux de dormance selon les latitudes sous lesquelles elles sont produites, et nous voulions comprendre pourquoi», explique Luis Lopez-Molina, professeur au Département de botanique et biologie végétale de la Faculté des sciences de lUNIGE.
Le gène paternel est réduit au silence
Comme tous les organismes ayant une reproduction sexuée, la graine reçoit deux versions de chaque gène, un allèle maternel et un allèle paternel, qui peuvent avoir des niveaux dexpressions différents. Les biologistes de lUNIGE avaient montré en 2016 que les niveaux de dormance dArabidopsis thaliana (lArabette des Dames), un organisme-modèle utilisé en laboratoire, sont hérités de la mère. En effet, chez la graine, le niveau dexpression dun gène régulateur de dormance appelé allantoinase (ALN) est le même que celui de lallèle maternel. Ceci implique que cest lallèle maternel dALN qui est principalement exprimé, au détriment de lallèle paternel.
Dans létude actuelle, les chercheurs montrent que cette empreinte maternelle est transmise par un mécanisme épigénétique, qui influence lexpression de certains gènes sans en modifier la séquence. Lallèle paternel dALN est réduit au silence par des modifications biochimiques appelées méthylations, qui sont effectuées dans la région promotrice du gène afin de linactiver.
«Ces méthylations sont elles-mêmes le résultat dun processus dans lequel sont impliqués différents complexes denzymes et de facteurs, ainsi que de petits fragments dARN dits interférents. Il sagit dun exemple inédit dempreinte génomique, car elle se fait en labsence de lenzyme habituellement responsable de la méthylation», détaille Mayumi Iwasaki, chercheuse au sein du groupe genevois et première auteure de larticle.
Lempreinte du froid passé empêche léveil de la graine
Les conditions environnementales présentes pendant la formation de la graine laissent aussi leur empreinte, car son niveau de dormance augmente avec une baisse des températures. «Nous avons découvert que, dans ce cas, les deux allèles du gène ALN sont fortement réprimés dans la graine. Ceci est dû à un mécanisme épigénétique semblable, mais dont les acteurs ne sont pas tous identiques à ceux qui opèrent pour réduire lallèle paternel au silence», expose Luis Lopez-Molina.
Cette empreinte du froid permet à la graine de conserver des informations sur les températures passées pour les inclure dans le choix du moment optimal de germination. Après la germination, le gène ALN est à nouveau réactivé dans lembryon. La mémoire du froid sera ainsi effacée, ce qui permet de remettre les compteurs à zéro pour la génération suivante.
«Etudier comment les facteurs maternels et environnementaux provoquent léveil des graines dormantes est dune importance cruciale pour lagriculture, notamment pour prévenir une germination précoce dans un environnement soumis aux changements climatiques», conclut Mayumi Iwasaki. Lenjeu au niveau écologique est, lui aussi, majeur, car laugmentation des températures pourrait diminuer la dormance de la banque de semences et modifier ainsi la répartition des espèces végétales sous une latitude donnée. Ceci entraînerait de multiples conséquences, directe et indirectes, pour les espèces animales et végétales indigènes.
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