MONTRÉAL, le 20 octobre 2016 Une étude canado-américaine dirigée par Luis Barreiro, professeur au Département de pédiatrie de lUniversité de Montréal et chercheur au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, vient de démontrer que les Américains dorigine africaine ont une réponse immunitaire aux infections plus forte que ceux dascendance européenne. Cette étude, qui établit pour la première fois cette différence immunitaire, montre aussi que ces différences de réponses immunitaires sont pour la plupart dorigine génétique, héritées de nos ancêtres et influencées par une sélection naturelle relativement récente. Elle est publiée aujourdhui à la une de la revue scientifique Cell.
Létude a été menée auprès de 175 Américains, dont une moitié était dorigine africaine et lautre européenne, de concert avec lUniversité de Californie, lUniversité de Wayne State, lUniversité Cornell, lUniversité du Minnesota et lUniversité Duke.
Même si le système immunitaire des Afro-Américains a une réponse plus forte, le professeur Barreiro se garde bien de le qualifier de meilleur: «Le système immunitaire des Afro-Américains réagit différemment, mais on ne peut pas conclure quil est meilleur, car une réponse immunitaire plus forte comporte aussi des effets négatifs, comme une sensibilité plus grande aux maladies inflammatoires auto-immunes, telle la maladie de Crohn. Une inflammation trop forte peut aussi endommager les organes et laisser des séquelles. Bref, une réponse immunitaire forte dans un certain contexte peut être avantageuse, mais inappropriée dans un autre contexte.»
La sensibilité aux maladies inflammatoires
Le système immunitaire réagit aux infections en provoquant de linflammation (rougeur, chaleur, gonflement, etc.) afin de neutraliser et déliminer linfection. Il était déjà connu des scientifiques que les Afro-Américains sont plus sensibles aux maladies inflammatoires auto-immunes, donc plus nombreux à souffrir par exemple de tuberculose ou de sclérodermie.
Lexpérience menée en laboratoire
Les 175 participants à létude du professeur Barreiro ont fourni des échantillons de sang desquels ont été extraits des macrophages, qui sont des cellules du système immunitaire dont le rôle est de tuer les pathogènes responsables des infections. Léquipe de recherche a ensuite infecté ces macrophages avec deux sortes de bactéries (listéria et de la salmonelle) afin dobserver les diverses réponses immunitaires: les macrophages des Afro-Américains ont tué trois fois plus vite les bactéries présentes après 24 heures dinfection.
Léquipe de recherche a dailleurs mis au jour les mécanismes moléculaires ayant agi sur les gènes responsables de ces réponses immunitaires différentes. «Cest là lune des grandes premières de cette étude, souligne Luis Barreiro. Les Afro- et les Euro-Américains sétant beaucoup mélangés au cours des derniers siècles, nous sommes même capables de départager chez un individu la part de système immunitaire héritée des Africains et celle héritée des Européens.»
Pourquoi ces différences?
«Même si nous avons découvert ces différences de réponses immunitaires entre les Africains et les Européens, nous ne sommes toutefois pas en mesure de prouver comment lévolution des espèces est intervenue dans le processus. Lune de nos hypothèses est que lors de la période préhistorique, après que les populations humaines eurent migré hors de l'Afrique, elles ont été exposées à moins de pathogènes (bactéries, virus, parasites), ce qui a réduit la réponse immunitaire, donc linflammation des tissus. Cette réduction de la réponse immunitaire (et de linflammation) a probablement été favorisée en raison des conséquences néfastes de l'inflammation aigüe ou chronique, qui sont les principaux contributeurs au développement de maladies inflammatoires auto-immunes.»
Une autre hypothèse est que la réponse immunitaire plus faible détectée chez les Européens serait le résultat dun processus de sélection naturelle moins vigoureux dans un environnement où le nombre de pathogènes est réduit ou tout au moins de nature différente que ceux trouvés en Afrique.
Et lhomme de Néandertal dans tout ça?
Lhomme de Néandertal a aussi son rôle à jouer dans la réponse immunitaire aux infections. Le Néandertal, avant de disparaître, a colonisé lEurope, mais pas lAfrique. Il a donc mélangé ses gènes avec lhomme de Cro-Magnon africain disséminé en Europe. Lanalyse de léquipe de Luis Barreiro démontre quenviron 3 % des gènes impliqués dans la différence de réponse immunitaire entre les Afro-Américains et les Euro-Américains proviennent de lhomme de Néandertal!
La suite de cette découverte
«Il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, nous navons pas encore étudié la réponse immunitaire aux virus et aux parasites. De plus, la génétique et lhérédité expliquent seulement environ 30 % des différences des réponses immunitaires observées. Nos prochaines études devraient porter sur les autres facteurs en mettant laccent sur linfluence de lenvironnement et de nos comportements. Lidée, cest de trouver des mécanismes immunitaires qui permettraient de comprendre pourquoi certains individus réagissent différemment par rapport à dautres en présence de certains virus ou bactéries», résume Luis Barreiro.
À propos de Luis Barreiro
Luis Barreiro est spécialiste de lévolution des réponses immunitaires et figure au palmarès des «40 chercheurs de moins de 40 ans les plus prometteurs» publié en 2014 par le prestigieux magazine Cell. Cest en mettant les pieds dans un laboratoire pour la première fois à la fin de ses études de deuxième cycle en biotechnologie à lUniversité de Lisbonne dans son Portugal natal que Luis Barreiro a découvert sa vocation. Une fois son diplôme en poche, il décroche un stage de six mois en génétique des mycobactéries à lInstitut Pasteur, à Paris. Il y restera cinq ans pour effectuer un doctorat en génétique humaine des populations. Ses études doctorales terminées, M. Barreiro prend la direction des États-Unis, plus précisément celle du Département de génétique humaine de lUniversité de Chicago, où il fait un postdoctorat en génomique fonctionnelle.
Ce thème est aujourdhui au cur du travail de Luis Barreiro à lUniversité de Montréal et au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, auquel il sest joint en 2011. Il est le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique fonctionnelle et évolutive du système immunitaire. Le projet principal de son laboratoire est de découvrir et de définir les bases génétiques des variations derrière les différences de réponses immunitaires entre les individus et les populations humaines. Si léquipe de Luis Barreiro compte parmi les deux ou trois groupes dans le monde à sintéresser aux réponses immunitaires et à leurs bases génétiques, elle est la seule à explorer cette question entre les différentes espèces de primates.
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http://www.luis-barreirolab.org
À propos de létude
Y. Nedelec, J. Sanz, G. Baharian, Z. A. Szpiech, A. Pacis, A. Dumaine, J.-C. Grenier, A. Freiman, A. J. Sams, S. Hebert, A. Pagé Sabourin, F. Luca, R. Blekhman, R. D. Hernandez, R. Pique-Regi, J. Tung, V. Yotova et L. B. Barreiro ont publié larticle «Genetic ancestry and natural selection drive population differences in immune responses to pathogens in humans» dans la revue Cell le 20 octobre 2016.
Financement de létude
Cette étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (subventions nos 301538 and 232519), le Human Frontiers Science Program (CDA-00025/2012) et le Programme des chaires de recherche du Canada (950-228993). Y.N. a reçu une bourse du Réseau de médecine génétique appliquée (RMGA), A.P.S. une bourse du Fonds de recherche du QuébecNature et technologies (FRQNT) et G.B. une bourse du Fonds de recherche du QuébecSanté (FRQS).
Journal
Cell