image: Average durations of all eye fixations in milliseconds for all 80 participants looking at natural faces expressing anger or happiness visualized in the form of a colored card, after listening to a voice expressing happiness. view more
Credit: UNIGE
Les enfants doivent-ils attendre lâge de huit ans pour reconnaitre spontanément, sans consigne, une même émotion, joie ou colère, selon quelle est exprimée par la voix ou par un visage? Une équipe de scientifiques de lUniversité de Genève (UNIGE) et du Centre Interfacultaire en Sciences Affectives (CISA) apporte une première réponse à cette question. Elle a comparé la capacité des enfants de 5, 8, 10 ans et des adultes à établir un lien spontané entre une voix entendue (voix de joie ou de colère) et lexpression émotionnelle correspondante dun visage naturel ou virtuel (visage de joie ou de colère). Ses résultats, à lire dans la revue Emotion, montrent que les enfants à partir de 8 ans fixent plus longtemps un visage de joie sils ont entendu auparavant une voix de joie. Ces préférences visuelles pour lémotion congruente témoignent de leur capacité dun codage spontané amodal des émotions, cest-à-dire indépendant de la modalité perceptive (auditive ou visuelle).
Les émotions font partie intégrante de nos vies et influencent nos comportements, nos perceptions ou nos choix quotidiens. Coder spontanément les émotions dune manière amodale, cest-à-dire indépendamment des modalités perceptives et donc des caractéristiques physiques des visages ou des voix est aisé pour les adultes, mais comment cette capacité se développe-t-elle chez les enfants?
Dans le but de répondre à cette question des chercheuses et chercheurs de la Faculté de Psychologie et des Sciences de lÉducation et membres du Centre Interfacultaire en Sciences Affectives, emmené-es par le professeur Édouard Gentaz, ont effectué une étude sur le développement de la capacité à établir des liens entre lémotion dune voix à celle dun visage naturel ou artificiel chez des enfants de 5, 8 et 10 ans, ainsi que chez des adultes. Contrairement aux études généralement réalisées qui comportent des consignes, en général verbales, cette étude na pas recours aux capacités langagières des enfants. Une nouvelle méthode prometteuse qui pourrait permettre dévaluer des capacités chez des enfants en situation de handicap, présentant des troubles du langage et de la communication.
Dix secondes face à un visage
Léquipe de recherche a utilisé un paradigme expérimental originellement conçu pour les bébés, une tâche dite de transfert intermodal émotionnel. Les enfants ont été exposés à des voix et des visages émotionnels exprimant la joie et la colère. Au cours dune première phase de familiarisation auditive, chaque participant-e est face à un écran noir et écoute une voix neutre, joyeuse ou en colère durant 20 secondes. Dans une deuxième phase, celle de la discrimination visuelle qui dure 10 secondes, la même personne est face à deux visages émotionnels, lun exprimant la joie et lautre la colère, lun avec une expression faciale correspondant à la voix et lautre avec une expression faciale différente de la voix.
En sappuyant sur la technologie deye-tracking (oculomètre), les scientifiques ont mesuré de manière très précise les mouvements oculaires chez 80 participantes et participants. Ils ont ainsi pu déterminer si le temps de regard pour lun ou lautre des visages émotionnels ou pour des zones particulières (bouche ou yeux) du visage naturel ou virtuel varie en fonction de la voix écoutée. Lutilisation de visage virtuel fabriqué avec le logiciel FACSGen du CISA permettait de mieux contrôler ses caractéristiques émotionnelles par rapport à un visage naturel. «Si les participant-es font le lien entre lémotion dans la voix entendue et lémotion exprimée par le visage vu, on suppose donc quils reconnaissent et code lémotion de manière amodale, cest-à-dire indépendante des modalités perceptives», souligne Amaya Palama, chercheuse au sein du Laboratoire du développement sensori-moteur affectif et social de la Faculté de psychologie et des sciences de léducation de lUNIGE.
Ces résultats montrent quaprès une phase contrôle (sans voix ou la voix neutre), il ny a aucune différence de préférence visuelle entre les visages de joie et de colère. Alors, quaprès les voix émotionnelles (joie ou colère) les participant-es ont regardé plus longtemps le visage (naturel ou virtuel) congruent à la voix. Plus précisément, les résultats ont mis en évidence un transfert spontané de la voix émotionnelle de joie, avec une préférence pour le visage congruent de joie à partir de 8 ans et un transfert spontané de la voix émotionnelle de colère, avec une préférence pour le visage congruent de colère à partir de 10 ans.
Révéler des capacités insoupçonnées?
Ces résultats suggèrent un codage spontané amodale des émotions. Cette étude a fait partie dun projet visant à étudier le développement des capacités de discrimination des émotions dans lenfance financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) obtenu par le Prof. Gentaz. Les recherches actuelles et futures cherchent à valider si cette tâche est appropriée pour révéler des capacités insoupçonnées à comprendre des émotions chez des enfants en situation de polyhandicap, incapables de comprendre des instructions verbales ou de produire des réponses verbales.
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