image: Aldo Antognini is happy that the long research effort yielded such an outstanding result. view more
Credit: Paul Scherrer Institute/Markus Fischer
Dans le cadre dexpériences conduites à lInstitut Paul Scherrer PSI, une collaboration internationale de recherche a mesuré le rayon du noyau atomique dhélium de manière cinq fois plus précise que tous les chercheurs avant elle. Ce nouveau résultat permet de tester certaines théories fondamentales en physique et de déterminer des constantes fondamentales avec encore plus de précision. Pour réaliser leurs mesures, les chercheurs avaient besoin de muons: ces particules ressemblent aux électrons, mais sont 200 fois plus lourdes. Le PSI est le seul site de recherche au monde qui produise suffisamment de muons dits de basse énergie pour de telles expériences. Les chercheurs publient aujourdhui leurs résultats dans la revue spécialisée Nature.
Parmi les éléments les plus fréquents dans lunivers, lhélium arrive en deuxième position derrière lhydrogène. Environ un quart des noyaux atomiques qui sont apparus après le Big Bang étaient des noyaux dhélium. Ces derniers sont constitués de quatre composants: deux protons et deux neutrons. En physique fondamentale, connaître les propriété du noyau dhélium est décisif, notamment si lon veut comprendre les processus qui se jouent dans dautres noyaux atomiques plus lourds que celui de lhélium. «Le noyau dhélium est un noyau tout à fait fondamental, que lon pourrait qualifier de magique», explique Aldo Antognini, physicien au PSI et à lETH Zurich. Son collègue et co-auteur Randolf Pohl, de lUniversité Johannes-Gutenberg de Mayence, en Allemagne, ajoute: «Les connaissances que nous avions jusque-là sur latome dhélium résultaient dexpériences conduites avec des électrons. Mais au PSI, nous avons développé pour la première fois une méthode de mesure novatrice qui permet une bien meilleure précision.»
La collaboration internationale de recherche a ainsi réussi à déterminer la taille du noyau dhélium de manière cinq fois plus précise que tous les chercheurs avant elle lors dautres mesures. Le groupe publie aujourdhui ses résultats dans la prestigieuse revue spécialisée Nature. Selon leur article, ce quon appelle le rayon moyen de charge du noyau dhélium mesure 1,67824 femtomètres (il faut 1 million de milliards de femtomètres pour faire 1 mètre).
«Lidée derrière nos expériences est simple», relève Aldo Antognini. Normalement, les électrons chargés négativement gravitent autour du noyau dhélium chargé positivement. «Nous ne travaillons pas avec des atomes conventionnels, mais avec des atomes exotiques, en remplaçant les deux électrons par un seul muon», détaille le physicien. Le muon est en quelque sorte le grand frère pesant de lélectron: il lui ressemble, mais il est environ 200 fois plus lourd. Un muon est beaucoup plus étroitement lié quun électron au noyau atomique et gravite autour de ce dernier sur des orbites beaucoup plus serrées. Dans le cas du muon, la probabilité dêtre directement capturé par le noyau est également beaucoup plus importante que dans le cas de lélectron. «Recourir à lhélium muonique nous permet de tirer des conclusions sur la structure du noyau atomique et de mesurer ses propriétés», résume Aldo Antognini.
Des muons lents et un système laser complexe
Les muons sont produits au PSI à laide dun accélérateur de particules. Spécialité de cette installation: elle produit des muons de basse énergie. Ces particules sont lentes et peuvent être stoppées dans les appareillages utilisés lors des expériences. Cette condition est indispensable pour obtenir des atomes exotiques où un muon éjecte un électron de son orbite et le remplace. Des muons rapides, eux, fileraient à travers lappareillage. Parmi toutes les installations comparables dans le monde, laccélérateur du PSI est celui qui fournit le plus de muons de basse énergie. «Cest pour cela que lexpérience avec lhélium muonique ne peut être conduite quici», souligne Franz Kottmann, qui fait avancer depuis 40 ans les pré-études et les développements techniques nécessaires pour cette expérience.
Les muons sont envoyés dans une petite chambre remplie dhélium gazeux. Si les conditions sont bonnes, on assiste à lapparition dhélium muonique où létat énergétique du muon est tel quil est plus souvent capturé par le noyau atomique. «Cest là quintervient un deuxième composant important pour lexpérience», explique Randolf Pohl. Le système complexe canarde lhélium gazeux avec une impulsion laser. Si cette impulsion laser a la bonne fréquence, le muon est excité et amené à un état énergétique supérieur où son orbite passe pratiquement toujours hors du noyau atomique. Lorsquil retombe de cet état initial, le muon émet de la lumière de type rayons X. Des détecteurs enregistrent ces rayons X.
Lors de lexpérience, la fréquence laser est variée jusquà réception de nombreux rayons X. Les physiciens parlent alors de fréquence de résonance. Celle-ci permet de déterminer la différence entre les deux états énergétiques du muon dans latome. Daprès la théorie, la différence dénergie mesurée dépend de la taille du noyau atomique. Les équations théoriques permettent donc de déterminer le rayon. Cette analyse a été conduite dans le groupe de recherche emmené par Randolf Pohl à Mayence.
Lénigme du rayon du proton sestompe
En 2010 déjà, les chercheurs du PSI avaient mesuré le rayon du proton de la même manière. Or, à lépoque, le résultat quils avaient obtenu ne coïncidait pas avec celui produit au moyen dautres méthodes de mesure. Il était question dune énigme du rayon du proton et certains avançaient quune nouvelle physique pouvait en être la cause, sous la forme dune interaction entre muon et proton inconnue jusque-là. Cette fois-ci, il ny a pas de contradiction entre le nouveau résultat plus précis et les mesures réalisées avec dautres méthodes. «Il est peu probable quon cherche à expliquer ces résultats avec une nouvelle physique au-delà du modèle standard», relève Franz Kottmann. Avant de préciser quau cours des dernières années, la valeur du rayon du proton obtenue avec dautres méthodes sest dailleurs rapprochée du chiffre plus précis du PSI. «Lénigme du rayon du proton existe donc toujours, mais elle sestompe», conclut le chercheur.
«Notre mesure peut être exploitée de différentes manières, explique Julian Krauth, premier auteur de létude. Le rayon du noyau dhélium constitue une importante pierre de touche en physique nucléaire.» La cohésion des noyaux atomiques est assurée parce quon appelle linteraction nucléaire forte, lune des quatre forces fondamentales de la physique. Avec la théorie de linteraction forte, appelée chromodynamique quantique, les physiciens aimeraient pouvoir prédire le rayon du noyau dhélium et celui dautres noyaux atomiques légers avec peu de protons et de neutrons. La valeur mesurée de manière extrêmement précise du rayon du noyau dhélium met ces prédictions à lépreuve. Elle permet aussi de tester de nouveaux modèles théoriques de la structure du noyau et ainsi de comprendre encore mieux les noyaux atomiques.
Mais les mesures réalisées sur lhélium muonique peuvent aussi être comparées avec des expériences menées sur des atomes et des ions dhélium conventionnels. Dans le cas de ces derniers également, il est possible dutiliser des systèmes laser pour déclencher et mesurer des transitions dénergie. Mais des transitions dénergie électroniques, cette fois, et non pas muoniques. Les mesure sur de lhélium électronique sont actuellement en cours. La comparaison des résultats des deux mesures permettra de tirer des conclusions sur certaines constantes naturelles fondamentales, comme la constante de Rydberg qui joue un rôle en mécanique quantique.
Collaboration de longue date
Alors que la mesure du rayon du proton navait abouti quau terme de fastidieux essais, lexpérience sur le noyau dhélium a fonctionné demblée. «Nous avons eu de la chance que tout se déroule sans accroc, raconte Aldo Antognini. Car avec notre système laser, nous évoluons aux limites de la technologies et des pannes sont vite arrivées.»
«Les choses seront encore plus compliquées avec notre nouveau projet, où nous nous consacrons au rayon magnétique du proton et où les impulsions laser doivent être encore dix fois plus riches en énergie!», relève Karsten Schuhmann, de lETH Zurich.
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Le résultat actuel est laboutissement de 20 ans dune fructueuse collaboration qui réunit des instituts renommés comme le PSI, lETH Zurich, lInstitut Max-Planck doptique quantique à Garching près de Munich, lInstitut für Strahlwerkzeuge de lUniversité de Stuttgart, le cluster dexcellence PRISMA+ de lUniversité Johannes-Gutenberg à Mayence, le Laboratoire Kastler Brossel/CNRS/Sorbonne Univ/ENS Paris/Collège de France à Paris, les universités de Coimbra et de Lisbonne au Portugal et la National Tsing Hua University à Taïwan. Ces travaux ont été financés, entre autres, par le Conseil européen de la recherche, le Fonds national suisse et la Fondation allemande pour la recherche.
Texte: Barbara Vonarburg
Des images peuvent être téléchargées sur https://www.psi.ch/fr/node/43551?access-token=ABkP3URn3xtSog6m
A propos du PSI
L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 400 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag, l'Empa et le WSL. Paraissant trois fois par an, le magazine de lInstitut Paul Scherrer donne, grâce à des dossiers variés, un aperçu des recherches passionnantes menées au PSI
https://www.psi.ch/fr/media/5232-le-magazine-du-psi
Informations complémentaires
Le proton est plus petit que ce que lon pensait. Texte du 8 juillet 2010
https://www.psi.ch/fr/media/actualites-recherche/le-proton-est-plus-petit-que-ce-que-lon-pensait
Contact
Dr Aldo Antognini
Laboratoire de physique des particules
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 46 14,
e-mail: aldo.antognini@psi.ch
[allemand, anglais]
&
Institute for Particle Physics and Astrophysics
ETH Zurich, Otto-Stern-Weg 5, 8093 Zurich, Suisse
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Dr Franz Kottmann
Laboratoire de physique des particules
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
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e-mail: franz.kottmann@psi.ch
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Dr Julian J. Krauth
LaserLaB, Faculty of Sciences
Quantum Metrology and Laser Applications
Vrije Universiteit Amsterdam
De Boelelaan 1081, 1081HV Amsterdam, Pays-Bas
Téléphone: +31 20 5987438,
e-mail: j.krauth@vu.nl
[allemand, anglais, néerlandais]
Prof. Randolf Pohl
Institut für Physik
Johannes Gutenberg Universität, 55128 Mainz, Allemagne
Téléphone: +49 171 41 70 752,
e-mail: pohl@uni-mainz.de
[allemand, anglais]
Publication originale
The alpha particle charge radius from laser spectroscopy of the muonic helium-4 ion
Julian J. Krauth et al., Nature, 27.01.2021
DOI: 10.1038/s41586-021-03183-1
Journal
Nature