La gestuelle et les expressions faciales trahissent notre état émotionnel, mais quen est-il de la voix ? Comment une simple intonation permet-elle de décoder nos émotions, par exemple au téléphone ? En observant lactivité neuronale du cerveau, des chercheurs de lUniversité de Genève (UNIGE) ont cartographié les régions cérébrales permettant délaborer les représentations émotionnelles vocales et de les catégoriser. Ces résultats, à lire dans la revue Scientific Reports, soulignent le rôle primordial des régions frontales dans linterprétation des émotions transmises par la voix. Si celui-ci ne fonctionne plus correctement, suite par exemple à une lésion cérébrale, la personne ne sera plus capable dinterpréter correctement les émotions et les intentions de son interlocuteur. Les chercheurs relèvent également le réseau de connexions intense qui relie cette zone à lamygdale, structure cérébrale clé de lémotion.
Chez les mammifères, la partie supérieure du lobe temporal est particulièrement liée à laudition. Une zone spécifique est ensuite dédiée aux vocalisations de leurs congénères qui permet de les distinguer, par exemple, des bruits environnementaux. Mais la voix est plus quun son auquel nous sommes particulièrement sensible, elle est aussi un vecteur démotions.
Catégoriser et discriminer
«Lorsque quelquun nous parle, nous utilisons les informations acoustiques que nous percevons chez lautre et nous les classons selon diverses catégories, comme la colère, la peur ou la joie», explique Didier Grandjean, professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de léducation (FPSE) et au Centre Interfactulaire en Sciences Affectives (CISA) de lUNIGE. Cette manière de classer les émotions est nommée la catégorisation. Il sagit par exemple de déterminer quune personne est triste ou joyeuse lors dune interaction sociale. Celle-ci se distingue de la discrimination, qui consiste à focaliser son attention sur un état particulier, par exemple détecter ou chercher quelquun de joyeux dans une assemblée. Mais comment le cerveau catégorise ces émotions et détermine ce que la personne exprime ? Pour répondre à cette question, léquipe de Didier Grandjean a analysé les régions cérébrales sollicitées lors de la construction des représentations émotionnelles vocales.
Seize personnes adultes ont participé à lexpérience. Elles ont été exposées à une base de données de vocalisations comprenant six voix dhommes et six voix de femmes qui disaient des pseudo-mots sans signification mais prononcés de manière émotionnelle. Dans un premier temps, afin dobserver quelle zone cérébrale est sollicitée pour la catégorisation, les participants devaient classer chaque voix comme colérique, neutre ou joyeuse. Dans un deuxième temps, afin dobserver la zone sollicitée par la discrimination, ils devaient simplement décider si une voix était colérique ou pas, puis joyeuse ou pas. «Grâce à lutilisation de limagerie à résonnance magnétique fonctionnelle, nous avons pu observer quelles zones sactivent dans chaque cas, et nous avons constaté que la catégorisation et la discrimination ne sollicitaient pas exactement la même région du cortex frontal inférieur», relève Sascha Frühholz, alors chercheur à la FPSE de lUNIGE et actuellement professeur à lUniversité de Zurich.
Le rôle capital du lobe frontal
Contrairement à la distinction voix / bruits de fond qui se situe dans le lobe temporal, les actions de catégorisation et de discrimination sollicitent, elles, le lobe frontal, plus particulièrement les gyris inférieurs frontaux (en bas sur les côtés du front). «Nous nous attendions à ce que le lobe frontal soit impliqué et nous avions prédit lobservation de deux sous-régions différentes qui sactiveraient en fonction de laction de catégoriser ou de discriminer», précise Didier Grandjean. Dans le premier cas, cest la sous-région pars opercularis qui correspond à la catégorisation de la voix, alors que dans le second cas, la discrimination, il sagit du pars triangularis. «Cette distinction est dune part liée à des activations cérébrales sélectives aux processus étudiés, mais également due à la différence de connexions avec dautres régions cérébrales que nécessitent ces deux opérations, précise-t-il. Lorsque nous catégorisons, nous devons être plus précis que lorsque nous discriminons. Cest pourquoi la région temporale, lamygdale et les cortex orbito- frontaux zones cruciales liées à lémotion sont beaucoup plus sollicitées et connectées au pars opercularis quau pars triangularis.»
Cette recherche, qui souligne la différence de sous-territoires fonctionnels dans la perception des émotions à travers la voix, relève que plus les processus liés à lémotion sont complexes et précis, plus le lobe frontal et ses connexions avec dautres régions cérébrales sont sollicités. Il y a donc une distinction entre le traitement des informations sonores de base (distinction entre bruits environnants et voix) effectué par la partie supérieure du lobe temporal, et celui des informations de haut niveau (émotions perçues, significations contextuelles) effectué par le lobe frontal. Cest bien ce dernier qui permet linteraction sociale en décodant lintention de son interlocuteur. «Sans cette zone, on ne peut plus se représenter les émotions de lautre grâce à sa voix, on ne comprend plus ses attentes et on a de la difficulté à intégrer les informations contextuelles comme dans le sarcasme, conclut Didier Grandjean. On sait donc à présent pourquoi une personne victime dune lésion cérébrale qui toucherait les gyris inférieurs frontaux et les régions orbito-frontales ne parvient plus à interpréter les émotions liées aux dires de ses pairs et peut donc adopter des comportements socialement inadaptés.»
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Journal
Scientific Reports