Lorsqu'un animal évolue au beau milieu d'un paysage qui connaît d'importants changements au fil des saisons par exemple, il peut lui être utile de changer de couleur afin de ne pas faire tache dans un habitat luxuriant l'été et enneigé l'hiver. Nous connaissons tous par exemple leffet des saisons sur le pelage des hermines et des renards polaires qui sont bruns en été mais deviennent blancs en hiver pour mieux se camoufler dans la neige.
Ce type de phénomène, que lon appelle plasticité phénotypique est la capacité dun organisme à exprimer différents phénotypes en fonction de son environnement et la façon dont cette plasticité est orchestrée reste une énigme. Cest ce qui a particulièrement intrigué un groupe de chercheurs français, suisse et américains lorsquils se sont aperçus que le célèbre poisson-clown pouvait retarder lapparition de ses bandes blanches selon lanémone dans laquelle il vit.
Tout le monde sait que le poisson-clown vit en symbiose avec les anémones de mer, mais ce que beaucoup de gens ignorent, cest que ces poissons colorés ne le sont pas au début de leur vie : les petites larves sont jaunes voire transparentes. Ce nest quau moment de leur métamorphose quelles commencent à changer de couleur et que leurs bandes blanches apparaissent, dabord sur la tête et le corps, puis au niveau de la queue.
Léquipe de Vincent Laudet à lObservatoire Océanologique de Banyuls-sur-Mer et, à Okinawa Institute of Science and Technology au Japon, a étudié la formation de ces bandes blanches, que lon sait essentielle à la reconnaissance entre espèces. Serge Planes au CRIOBE a suivi ces poissons dans leur milieu naturel sur lîle de Kimbe en Papouasie Nouvelle-Guinée et a alors fait une observation fascinante : il a découvert que les juvéniles de poisson-clown peuvent retarder la formation de leurs bandes blanches selon les anémones dans lesquelles ils vivent : anémones dites tapis (Stichodactyla gigantea) ou anémones magnifiques (Heteractis magnifica). En effet, ces deux espèces danémones de mer différent entre-autre par la longueur de leurs tentacules et par leur toxicité.
Dans cette étude, publiée le 24 mai 2021 dans les comptes-rendus de lacadémie des sciences américaine, léquipe sest concentrée sur le rôle des hormones thyroïdiennes, connues comme jouant un rôle clé dans la métamorphose. « La métamorphose est un processus très important pour le poisson-clown, puisque cest au cours de cette transition développementale quil change son apparence et quil change denvironnement en sinstallant dans son anémone de mer » explique le Professeur Vincent Laudet, qui a coordonné cette étude. « Ainsi, comprendre comment le processus de métamorphose peut être modifié chez le poisson-clown en fonction de lespèce danémone de mer dans laquelle il vit peut nous aider à comprendre comment les poissons-clowns sadaptent à leurs différents environnements ».
Pour comprendre le rôle de ces fameuses hormones thyroïdiennes, les chercheurs ont exposés en laboratoire de jeunes larves de poissons-clowns avec différentes doses de ces hormones. Ils ont observé que plus la dose était forte, plus vite les bandes blanches se formaient. Au contraire, en traitant de la même manière ces jeunes larves, mais cette fois avec une molécule bloquant la synthèse des hormones thyroïdiennes, lapparition des bandes était retardée.
Finalement, les chercheurs sont retournés dans la baie de Kimbe et ont dosé les hormones thyroïdiennes chez des juvéniles du même âge et taille, prélevés dans des anémones de mer S. gigantea ou H. magnifica. « Nous avons observé que les taux dhormones thyroïdiennes étaient bien plus importants chez les juvéniles prélevés chez S. gigantea que chez ceux prélevés chez H. magnifica validant ainsi notre hypothèse que les juvéniles vivants chez S. gigantea produisent plus dhormones thyroïdiennes permettant ainsi une formation plus rapide des bandes blanches chez ces individus » explique Pauline Salis, premier auteur de cet article. En étudiant de plus près les deux populations de poissons ils ont identifié un gène appelé duox, responsable de cette augmentation du taux dhormones thyroïdiennes. Ce gène est également important chez lhomme pour la formation de ses hormones.
Cette étude ouvre de nombreuses questions intéressantes. Par exemple, pourquoi une telle différence temporelle dans lapparition des bandes blanches chez le poisson-clown selon lespèce hôte danémone de mer ? « Une des hypothèses serait que S. gigantea, une espèce danémone bien plus toxique que H. magnifica, provoquerait un stress chez les juvéniles qui se traduirait par une augmentation des taux dhormones thyroïdiennes » indique Pauline Salis.
Ces travaux montrent donc comment, en fonction de lenvironnement dans lesquels ils vivent (ici différentes espèces danémones), les organismes vivants (ici des poissons-clowns) peuvent modifier leur développement (ici lapparition des bandes blanches) en modifiant leur production hormonale. Ces mêmes types de mécanismes se mettent en route lorsque les organismes doivent sadapter à dautres changements environnementaux comme le réchauffement climatique, la pollution chimique ou lacidification des océans. Ces mécanismes de plasticité sont donc à la base des capacités évolutives et dadaptation des organismes vivants.
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Journal
Proceedings of the National Academy of Sciences