Des chercheuses de lUniversité de Genève (UNIGE) démontrent que des projets innovants menés par les bureaux des Nations unies (ONU) partout dans le monde remodèlent linstitution et élargissent son rôle. Les initiatives numériques, en particulier celles portées au niveau du siège, se sont avérées avoir limpact le plus fort, modifiant les méthodes de travail, intégrant de nouvelles compétences et restructurant les équipes à travers lONU. Ces résultats, publiés dans la revue Journal of Management Studies, montrent que le fait dencourager ne serait-ce quun seul projet innovant peut entraîner des transformations fondamentales au sein de lONU.
Comment les organisations internationales renforcent-elles leurs capacités dinnovation par lintrapreneuriat et les incitations entrepreneuriales? Pour répondre à cette question, les chercheuses Tina Ambos et Katherine Tatarinov de la Geneva School of Economics and Management (GSEM) de lUNIGE se sont intéressées à la manière dont des projets innovants, en particulier ceux émanant des bureaux de pays, font évoluer le système institutionnel durablement.
Le rôle de la technologie numérique
Dans lune des études de cas menée pour cette recherche, une initiative de transfert dargent aux réfugié-es utilisant la blockchain a permis délargir la mission de lorganisme responsable des Nations unies, qui est passée de la «lutte contre la pauvreté et la faim» à un rôle plus proche de celui dune société de technologie financière ou dune banque de développement. En fournissant une plateforme pour lacheminement de laide, lorganisation permet à ses partenaires de contourner les tiers instables et déconomiser sur les coûts de transaction. «Ces nouvelles activités vont souvent au-delà de la mission initiale de lorganisation, explique Tina Ambos, professeure de gestion internationale à la GSEM et directrice de li2i Hub for Innovation and Cross-Sector Partnerships. Lutilisation de la blockchain pourrait se répandre dans lensemble du système des Nations unies, en changeant ses méthodes de travail et en augmentant la transparence.»
Les données sensibles sur les groupes vulnérables détenues par lONU impliquent souvent que linnovation numérique ne peut être externalisée. Cest pourquoi lorganisation doit perpétuellement mettre à niveau ses connaissances institutionnelles et créer de nouvelles équipes pour gérer les projets numériques qui, en retour, impactent fortement son fonctionnement global. «Dautres compétences, comme les compétences techniques et les approches centrées sur lhumain, ont également été internalisées», commente Katherine Tatarinov, chercheuse à la GSEM. «Après avoir appris dans un contexte, lONU a pu tester différentes technologies sur ses théâtres dopération en fonction des besoins locaux, sans dépendre dexpert-es externes.»
Les unités dinnovation se sont avérées essentielles pour aider lONU à soutenir les initiatives en proposant des solutions dynamiques. Ces unités encouragent les initiatives par le biais de camps dentraînement et de liens intersectoriels, en aidant les équipes à surmonter les obstacles internes et en diffusant les nouveaux apprentissages à lensemble de lorganisation. LONU implique également les populations locales pour assurer la durabilité et maximiser limpact social. Les utilisateurs/trices finaux, comme les réfugié-es, sont souvent des membres actifs des équipes de développement, ce qui permet de sassurer que les projets vont dans le bon sens.
Le pouvoir de linnovation par le bas (bottom-up)
Les innovations naissent souvent dans les bureaux locaux des pays affiliés aux Nations unies, où le personnel doit réagir rapidement aux crises en cours. Pour contourner la lenteur des procédures centrales, les innovateurs/trices locaux peuvent décider de ne pas impliquer le siège. Les bonnes idées se propagent alors dun pays à lautre, comme cest le cas dun outil de sondage par SMS anonyme conçu pour sonder les opinions sur des sujets tabous dans les communautés isolées. «Lidée sest développée de manière organique, car dautres bureaux nationaux ont pu constater la valeur de laccès aux données sur des sujets tabous», souligne Tina Ambos. De telles innovations au niveau national peuvent être mises en uvre à grande échelle et il a été démontré quelles peuvent changer la culture de lorganisation lorsque la technologie numérique est impliquée.
Les personnes qui portent des projets innovants au niveau national sont prêtes à recourir à des solutions de contournement pour éviter la bureaucratie du siège, car elles sont motivées par la résolution dun problème urgent plutôt que par des récompenses ou une reconnaissance interne. Elles sont donc en mesure daccéder à des subsides et de forger des partenariats qui auraient pu être ignorés par le fonctionnement centralisé de lONU, mais qui salignent néanmoins sur les valeurs organisationnelles plus larges.
«Les hiérarchies strictes et les processus dapprobation peuvent étouffer les idées, mais les organisations internationales doivent innover pour rester pertinentes», poursuit Katherine Tatarinov. «Lattention accrue du public, les difficultés de financement et la tendance au numérique signifient que des organismes comme lONU doivent réinventer leur culture, leur identité et leurs styles de gestion. En devenant plus réactifs et en encourageant les idées novatrices, ils seront en mesure de mieux accomplir leurs missions.» Les résultats de létude démontrent quune bonne idée peut se développer à travers une organisation complexe comme lONU et la faire évoluer de lintérieur en créant un contexte favorable.
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Journal of Management Studies