image: (From left to right): Mathieu Padlewski, Romain Fleury and Hervé Lissek standing with their metamaterial. More photos available in the press kit.
Credit: Alain Herzog / EPFL
Qu’arrive-t-il quand un physicien se sent frustré par les limitations de la mécanique quantique, par exemple s’il s’agit d’étudier des paquets d’atomes de haute densité ? A l’EPFL, cela aboutit à la réalisation d’un métamatériau — un matériau artificiel qui présente des propriétés inédites.
Le physicien, c’est le doctorant Mathieu Padlewski. En collaboration avec Hervé Lissek et Romain Fleury, au Laboratoire d’ingénierie des ondes de l’EPFL, il a construit un système acoustique à même d’explorer les condensats de matière et leurs propriétés macroscopiques, tout en faisant fi de la nature extrêmement sensible des phénomènes quantiques. Un système que l’on pourrait également élargir à l’étude de systèmes physiques autres que la matière condensée. Ces travaux sont publiés dans Physical Review B.
«Schématiquement, nous avons conçu une plateforme expérimentale inspirée de la mécanique quantique, que l’on peut ajuster à l’étude de systèmes variés. Notre métamatériau consiste en des éléments actifs extrêmement modulaires. Ils permettent de synthétiser des phénomènes qui dépassent ce que l’on peut observer dans la nature. Les applications potentielles vont de la manipulation des ondes au guidage de l’énergie en télécommunications. À terme, ce système pourrait être utilisé pour produire de l’énergie à partir d’ondes acoustiques, par exemple », explique Mathieu Padlewski.
Le chat de Schrödinger et l’énigme quantique
En mécanique quantique, le chat est à la fois mort et vivant à l’intérieur de la boîte, jusqu’à ce que l’on perturbe le système en le mesurant — en ouvrant la boîte, donc. Dans une perspective purement quantique, le chat est dans deux états probables superposés : un état probable mort, et un autre vivant, jusqu’à ce qu’on ouvre la boîte pour vérifier si l’animal est mort ou vivant. L’animal ne peut être simultanément mort et vivant, et c’est l’essence de cette expérience de pensée, imaginée en 1935 par Erwin Schrödinger. Elle illustre la complexité des concepts quantiques, quand on cherche à se les figurer à d’autres échelles, par exemple à celle d’un chat.
La nature sensible de la physique quantique rend très difficile l’observation de l’état de la matière. C’est parce que le fait même de mesurer le système assigne à ce dernier un état, plutôt que de le laisser exister de manière ininterrompue dans une superposition d’états probables. Cela dit, les physiciennes et physiciens savent comment sonder indirectement les états électroniques pour en déduire les propriétés.
Modéliser les phénomènes quantiques avec des ondes sonores
Dans le monde macroscopique, il existe un autre phénomène à propos duquel le chat de Schrödinger fait parfaitement sens. Un phénomène avec lequel on peut interagir : le son.
Prenons une voix en particulier. Nous savons qu’elle nous apparait dans son unicité et sa richesse parce que nous entendons un spectre complet de fréquences. Le spectre est particulier à une voix donnée, mais il explique aussi le timbre unique d’un piano en particulier, ou pourquoi une trompette ne sonne pas comme un trombone. En principe, nous pouvons entendre en même temps la fréquence fondamentale — c’est-à-dire l’état fondamental — en même temps que les fréquences plus élevées, désignées par le nom d’harmoniques. Pour emprunter le langage de la physique quantique, nous entendons simultanément une superposition d’états. Revenant au chat de Schrödinger, ce dernier est à la fois mort et vivant, et nous pouvons l’entendre !
«Les ondes de probabilité quantiques sont fondamentalement des ondes — pourquoi ne pas les modéliser avec du son ? demande Mathieu Padlewski. Sonder les états électroniques de la matière, de manière directe et sans la perturber, ça revient à demander à un aveugle d’avancer sans canne dans une rue animée. Mais en acoustique, nous pouvons sonder les ondes directement, en phase et en amplitude, sans affecter leur état. C’est plutôt intéressant.»
Concevoir un métamatériau acoustique
Construit à l’EPFL, le métamatériau acoustique consiste en une rangée d’ « atomes acoustiques » — 16 petits cubes connectés les uns aux autres, avec des ouvertures pour permettre le placement de multiples haut-parleurs et microphones. Les premiers génèrent des ondes sonores qui se propagent de manière contrôlée le long de la rangée d’atomes acoustiques, et les seconds mesurent les ondes sonores qui serviront d’entrée au contrôle par rétroaction. Les cubes sont comme autant de blocs de construction, qui permettent d’élaborer des systèmes plus complexes qu’une simple rangée.
«Dans sa structure et ses fonctionnalités, notre métamatériau acoustique actif ressemble à la cochlée, l’organe responsable de l’audition dans l’oreille, explique Hervé Lissek. Cette dernière consiste en une rangée de cellules qui amplifient diverses fréquences, selon leur position. On pourrait potentiellement régler notre métamatériau de la même manière pour étudier des problèmes de l’audition, comme les acouphènes.»
Vers une informatique analogique inspirée de la quantique
Mathieu Padlewski envisage aussi d’exploiter les blocs de construction de son métamatériau pour étudier la faisabilité d’un ordinateur analogique acoustique permettant de générer des états non-séparables, en s’inspirant des travaux de Pierre Deymier de l’Université de l’Arizona. Il s’agirait essentiellement de l’équivalent acoustique d’un ordinateur quantique, mais qui permettrait d’observer directement les états superposés sans interférer avec le système, les ondes acoustiques n’étant pas aussi fragiles que leurs homologues quantiques.
«Cet ordinateur analogique quantique acoustique ressemblerait plutôt à un réseau cristallin, soit des rangées périodiques de cellules disposées comme les atomes dans un cristal, explique Mathieu Padlewski. En informatique quantique, l’approche acoustique pourrait offrir un moyen alternatif pour traiter simultanément de grandes quantités d’informations.»