News Release

Le gruyère, ou une histoire de la domestication des bactéries

Peer-Reviewed Publication

University of Lausanne

Culture de mini fromage

image: Le scientifique ensemence du lait avec des «cheese starter cultures» pour amorcer la fermentation en mini fromages. view more 

Credit: Jérôme Beneditti, UNIL

La domestication des plantes et des animaux a joué un rôle clé dans le développement des sociétés humaines. Et les microbes, eux aussi, ont été apprivoisés: une étude de l’UNIL, parue dans le journal Nature Communications, montre que des bactéries qui servent à produire le gruyère, l’emmental et le sbrinz présentent des signes de domestication anciens.

La domestication des bestiaux et des végétaux a marqué une étape importante dans la sédentarisation des êtres humains au néolithique, passant d’un mode de vie de chasseur-cueilleur à un modèle de subsistance fondé sur l’élevage et l’agriculture. Du fait de la taille microscopique et de la quasi-absence de fossiles de micro-organismes, leur domestication est plus difficile à prouver que celle de la faune et de la flore. Même si quelques études l’ont déjà attestée pour les levures (des champignons microscopiques unicellulaires, avec noyau), le cas des bactéries (des germes majoritairement unicellulaires et sans noyau) restait encore à élucider. C’était le cheval de bataille de Vincent Somerville, ancien doctorant de l’équipe de Philipp Engel, au Département de microbiologie fondamentale (DMF) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Les résultats de sa dernière étude, réalisée sous la codirection de Florent Mazel et en collaboration avec l’Agroscope, ont été publiés dans la revue Nature Communications.

Un procédé ancestral

La domestication consiste à sélectionner artificiellement - générations après générations - des variants d’une espèce sauvage ayant développé des caractéristiques intéressantes pour l’agriculture ou l’élevage, telles que la qualité nutritive des plantes ou la grosseur et la docilité des bêtes. Avec l’augmentation de la population humaine au cours de l’histoire et donc le besoin grandissant de nourriture, des solutions de stockage de longue durée ont dû être trouvées. «C’est le cas de la fermentation, qui convertit les sucres en acides, protège de la prolifération de microbes indésirables et permet donc de conserver les aliments plus longtemps», explique Philipp Engel, codirecteur de l’étude. Cette technique vieille de plusieurs milliers d’années utilise des micro-organismes, comme les levures pour la fabrication de la bière ou du vin, ou encore les bactéries pour celle du fromage. Les premières traces archéologiques indirectes de fermentation du lait datent d’il y a environ 10'000 ans, c’est-à-dire du néolithique.

Des fromages helvétiques comme sujets d’études

Grâce à la collaboration avec l’Agroscope, le centre de compétences suisse pour la recherche agronomique et alimentaire, le groupe lausannois a eu accès à un ensemble de souches bactériennes utilisées pour la production de trois fromages suisses différents: le gruyère, l’emmental et le sbrinz, et stockées depuis 50 ans. «Ces cultures, appelées aussi "cheese starter cultures", ont été partiellement réactivées pour créer des sortes de mini fromages de laboratoire», raconte Vincent Somerville, premier auteur de l’article. «Nous avons ensuite réalisé une analyse de l’évolution des caractéristiques génétiques et phénotypiques de cette collection au cours du temps afin d’identifier des marqueurs révélateurs de la domestication.» En observant plus de 100 isolats de bactéries et près de 1000 échantillons, les scientifiques ont trouvé, respectivement, une faible diversité génétique et une forte stabilité des traits spécifiques au processus de conservation des denrées (par exemple, l’acidification) durant cette période d’un demi-siècle. Indicateurs d’une adaptation ancienne, voire très ancienne, qui correspond par extrapolation à l’apparition des premiers produits laitiers fermentés. «La concordance temporelle entre la datation des micro-organismes et l’histoire archéologique de ces aliments fermentés était assez inattendue», se réjouit le chercheur, Florent Mazel. Autrement dit il est possible de retracer le passé de la domestication des bactéries à partir des fromages suisses.

Garantir la sécurité alimentaire

Dans le futur, des fromages provenant de différentes régions du monde pourraient être comparés afin de généraliser l’étude. Par ailleurs, la recherche sur la domestication de communautés bactériennes utilisées pour amorcer la fermentation d’autres produits, par exemple le kéfir, semble prometteuse. «Une meilleure compréhension de la domestication des bactéries permettra d’optimiser les caractéristiques de ces microbiotes, d’améliorer l’utilisation de ce procédé et d’en faire un mode de stockage de la nourriture plus durable», espère finalement Florent Mazel.


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