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La diversité du vivant n’est pas qu’affaire de génétique

Une étude de l’UNIGE révèle comment des contraintes mécaniques, liées à la croissance des tissus, participent à générer la diversité des structures biologiques.

Peer-Reviewed Publication

Université de Genève

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The precise geometry of tissue layers was acquired with light-sheet fluorescence microscopy (LSFM).

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Credit: © F. Berger & M. C. Milinkovitch University of Geneva, Switzerland

Comment expliquer la diversité morphologique des espèces? Si la génétique est la réponse qui vient spontanément à l’esprit, elle n’est cependant pas la seule explication. En combinant observations du développement embryonnaire, techniques de microscopie avancées et modélisations informatiques, une équipe pluridisciplinaire de l’Université de Genève (UNIGE) démontre que le développement des écailles de la tête des crocodiles résulte d’un processus lié à la mécanique des tissus en croissance, plutôt qu’à la génétique moléculaire. La diversité de ces écailles, observées chez différentes espèces de crocodiliens, provient donc de l’évolution de paramètres mécaniques. Ces résultats offrent un éclairage inédit sur les forces physiques impliquées dans le développement et l’évolution de la diversité des formes du vivant. Ils pourraient s’appliquer à d’autres systèmes biologiques complexes. Ces travaux sont à lire dans la revue Nature.


L’origine de la diversité et de la complexité morphologique des êtres vivants demeure l’un des plus grands mystères de la science. Pour l’élucider, les scientifiques étudient diverses espèces biologiques. Le laboratoire de Michel Milinkovitch, professeur au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l’UNIGE, étudie le développement et l’évolution des appendices tégumentaires des vertébrés – c’est à dire les plumes, les poils et les écailles – pour comprendre les mécanismes fondamentaux responsables de cette diversité. On considère généralement que le développement embryonnaire de ces appendices est dicté par des processus génétiques impliquant des interactions entre de nombreuses molécules issues de l’expression des gènes.


Comme une «fissure» qui se propage

Cependant, des analyses du développement d’embryons de crocodiles menées précédemment ont permis au laboratoire genevois de montrer que, contrairement à celles du corps, les écailles recouvrant le museau et les mâchoires proviennent d’un processus rappelant la propagation de fissures au sein d’un matériau subissant un stress mécanique. La nature exacte de ce processus physique restait toutefois inconnue.


L’équipe l’UNIGE a résolu ce mystère grâce à de nouveaux travaux hautement multidisciplinaires. Elle a d’abord observé l’apparition des écailles au cours du développement de l’embryon de crocodile du Nil, qui dure environ 90 jours. Alors qu’au 48ème jour, la peau recouvrant les mâchoires et le museau est encore lisse, des plis cutanés apparaissent dès le 51ème jour puis se propagent et s’interconnectent pour former des écailles polygonales de deux types: larges et allongées sur le dessus du museau, plus petites et irrégulières sur les côtés des mâchoires.


Le groupe de Michel Milinkovitch a voulu savoir si des différences de vitesse de croissance entre l’épiderme, le derme et les os du crâne sous-jacents pouvaient expliquer l’apparition des plis, et donc des écailles. Pour y parvenir, il a mis au point une technique d’injection dans l’oeuf de crocodile d’une hormone activant la croissance et la rigidification de l’épiderme – le facteur de croissance EGF (pour Epidermial Growth Factor). Il a alors découvert que l’activation de la croissance et l’augmentation de la rigidité de la couche superficielle de la peau entrainent une modification spectaculaire de l’organisation des plis cutanés.


«Nous observons que la peau plisse d’abord anormalement et forme un réseau labyrinthique ressemblant aux plis du cerveau, mais finit par former des écailles beaucoup plus petites comme chez les caïmans», expliquent Gabriel Santos-Durán et Rory Cooper, post-doctorants dans le laboratoire de Michel Milinkovitch et co-auteurs de l’étude. Ces observations montrent que la variation dans la vitesse de croissance et de rigidification des couches cutanées est un mécanisme évolutif simple, capable de générer une grande diversité de formes d’écailles parmi les différentes espèces de crocodiliens.


Un modèle 3D du développement de la mâchoire

Les scientifiques ont ensuite utilisé des techniques avancées de microscopie, dite de «fluorescence à feuille de lumière», pour quantifier la vitesse de croissance et la variation d’épaisseur des différents tissus (épiderme, derme, tissu osseux) partout sur la tête de l’embryon, mais aussi l’organisation des fibres de collagène dans le derme. L’équipe genevoise a utilisé ces données pour construire un modèle informatique tridimensionnel (3D) permettant de faire varier la vitesse de croissance et la rigidité des tissus.


«En explorant ces différents paramètres, nous pouvons générer les différentes formes d’écailles correspondant aux crocodiles du Nil traités et non-traités avec l’EGF, mais aussi le caïman à lunettes ou l’alligator américain. Ces simulations informatiques démontrent que la mécanique des tissus permet d’expliquer facilement la diversité des formes de certaines structures anatomiques dans différentes espèces, sans faire intervenir des facteurs génétiques moléculaires», conclut Ebrahim Jahanbakhsh, ingénieur informaticien dans le laboratoire de Michel Milinkovitch et co-auteur de l’étude.


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