L'Univers regorge d'environnements extrêmes, des températures les plus froides aux sources les plus énergétiques possibles. Ainsi, des objets extrêmes tels que les restes de supernovæ, les pulsars ou les noyaux actifs de galaxies, sont capables de produire des particules chargées et des rayons gamma d’une énergie record. Une énergie telle, qu’elle surpasse de plusieurs ordres de grandeur l’énergie en jeu dans la fusion nucléaire se produisant dans les étoiles.
Les rayons gamma reçus sur Terre nous en disent beaucoup sur ces sources, car ils voyagent dans l'espace sans être perturbés. En revanche dans le cas des particules chargées – aussi appelées rayons cosmiques – l’affaire est plus compliquée, car elles sont ballottées par les champs magnétiques omniprésents dans l'Univers et frappent la Terre de manière isotrope, c’est-à-dire depuis toutes les directions. Qui plus est, ces particules chargées perdent une partie de leur énergie en cours de route, en interagissant avec la lumière et les champs magnétiques. Ces pertes sont particulièrement importantes pour les électrons et positrons les plus énergétiques, appelés électrons cosmiques (CRe), dont l'énergie est supérieure à un téraélectronvolt (soit 1000 milliards de fois supérieure à celle de la lumière visible)2. Il n’est donc pas possible de remonter au point d’origine de ces particules chargées dans l’espace, mais leur détection sur Terre est un indicateur clair qu’il existe de puissants accélérateurs de particules cosmiques à proximité.
Reste que la détection d'électrons et de positrons de plusieurs téraélectronvolts est particulièrement ardue : les instruments spatiaux, dont la zone de détection est de l’ordre du mètre carré, ne parviennent pas à capturer suffisamment de ces particules de plus en plus rares à mesure que l’on monte en énergie. Les instruments au sol, qui détectent indirectement l’arrivée des rayons cosmiques à travers les cascades de particules qu’ils produisent dans l’atmosphère terrestre, doivent quant à eux, relever le défi de différencier les cascades initiées par des électrons (ou des positrons) cosmiques des cascades, beaucoup plus fréquentes, générées par l'impact de protons et de noyaux de rayons cosmiques plus lourds. L'observatoire H.E.S.S.3 situé en Namibie utilise cinq grands télescopes pour capter et enregistrer la faible lumière Cherenkov produite par des particules et des photons fortement chargés qui pénètrent dans l'atmosphère de notre planète et produisent une cascade de particules dans leur sillage. Bien que son objectif principal soit de détecter et de sélectionner les rayons gamma pour étudier leurs sources, les données peuvent également être exploitées pour rechercher des électrons cosmiques.
À l’issue de l’analyse la plus poussée jamais effectuée, les scientifiques de la collaboration H.E.S.S. ont obtenu de nouvelles informations sur l'origine de ces particules. Dans leur travail, les astrophysiciens ont passé au peigne fin l'énorme ensemble de données collectées pendant une décennie par les quatre télescopes de 12 m en appliquant de nouveaux algorithmes de sélection plus puissants, capables d’extraire les CRe du bruit de fond avec une efficacité sans précédent. Cela a permis d'obtenir un ensemble de données statistiques inégalé pour l'analyse des électrons cosmiques. En particulier, les chercheurs et chercheuses de la collaboration ont pu obtenir pour la première fois des données sur les CRe dans les régimes d'énergie les plus élevés, jusqu'à 40 TeV. Ils ont ainsi identifié un changement brutal étonnamment net dans la distribution d’énergie des électrons cosmiques, témoin d'un très petit nombre de sources situées à proximité de notre propre système solaire.
Notes :
- Travaillant au laboratoire Leprince Ringuet (CNRS/Ecole polytechnique). Des scientifiques des laboratoires Astroparticule et cosmologie (CNRS/Université Paris Cité), du Laboratoire Univers et théories (CNRS/Observatoire de Paris – PSL), du Laboratoire physique nucléaire et hautes énergies ( CNRS/Sorbonne Université), du Laboratoire Univers et particules de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier), du Centre de physique des particules de Marseille (Aix-Marseille Université/CNRS) et du Laboratoire de Physique des 2 infinis – Bordeaux (Université de Bordeaux/CNRS) sont également impliqués.
- 1 TeV = 1012 électronvolt
- Les rayons gamma de haute énergie ne peuvent être observés depuis le sol qu'à la faveur d’un phénomène très particulier. Lorsqu'un rayon gamma pénètre dans l'atmosphère, il entre en collision avec des atomes et des molécules et génère de nouvelles particules qui foncent vers le sol comme une avalanche. Ces particules émettent des flashs qui ne durent que quelques milliardièmes de seconde (rayonnement Cherenkov), qui peuvent être observés à l'aide de grands télescopes spécialement équipés au sol. L'observatoire H.E.S.S., situé dans les « Khomas Highlands » en Namibie à une altitude de 1835 m, est officiellement entré en service en 2002. Il se compose d'un réseau de cinq télescopes. Quatre télescopes avec des miroirs de 12 m de diamètre sont situés aux coins d'un carré, et un autre télescope de 28 m de diamètre se trouve au centre. Cela permet de détecter le rayonnement gamma cosmique dans une gamme de quelques dizaines de giga-électronvolts (GeV, 109 électronvolts) à quelques dizaines de téra-électronvolts (TeV, 1012 électronvolts). À titre de comparaison, les particules de la lumière visible ont une énergie de deux à trois électronvolts. H.E.S.S. est actuellement le seul instrument qui observe le ciel austral en lumière gamma de haute énergie. Il s'agit également du système de télescope le plus grand et le plus sensible de sa catégorie.
Journal
Physical Review Letters
Article Title
High-Statistics Measurement of the Cosmic-Ray Electron Spectrum with H.E.S.S.
Article Publication Date
18-Nov-2024