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Une mécanique géométrique façonne la truffe du chien

Une équipe de l’UNIGE a découvert les propriétés physiques qui génèrent les sillons présents sur le nez de nombreux mammifères.

Peer-Reviewed Publication

Université de Genève

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3D reconstruction of a dog embryo's rhinarium.

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Credit: © Milinkovitch, Dagenois

La peau du nez de nombreux mammifères tels que le chien, le furet et la vache, présente des sillons formant une multitude de polygones. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) a analysé en détail comment se forment ces motifs chez l’embryon en utilisant des techniques d’imagerie et de simulations informatiques. Elle a découvert que la croissance inégale des différentes couches de tissus provoque la formation de dômes, qui prennent appui sur les vaisseaux sanguins sous-jacents. Ces travaux décrivent pour la première fois ce processus de morphogenèse, qui pourrait permettre d’expliquer la formation d’autres structures biologiques associées à des vaisseaux sanguins. Ils sont à lire dans la revue Current Biology.


Le vivant présente des formes remarquables, dont certaines sont identifiables par leur «pattern» de coloration ou de motifs. C’est ainsi que l’on reconnaît les zèbres ou les guépards aux répétitions géométriques sur leur pelage ou les pommes de pins à leur organisation en spirales régulières. Ces patterns fascinants sont générés par différents processus de morphogenèse, c’est-à-dire l’apparition de formes pendant le développement embryonnaire.


D’une part, la morphogenèse auto-organisationelle chimique permet de faire émerger des structures ou des motifs à partir de réactions chimiques. Un exemple particulièrement parlant est le modèle de réaction-diffusion de Turing, où des substances chimiques diffusent et interagissent pour créer des motifs relativement réguliers, comme les rayures ou les taches sur la peau des mammifères et des reptiles. D’autre part, certaines formes sont le fruit de contraintes mécaniques. Les circonvolutions du cerveau, par exemple, apparaissent par un processus de croissance différentielle: le cortex forme des plis car il croît plus vite que la couche plus profonde à laquelle il est attaché.


La diversité du vivant
Le groupe de Michel Milinkovitch, professeur au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l’UNIGE, étudie l’évolution des mécanismes du développement à l’origine de la complexité et de la diversité des espèces. «Trouver des exemples pour étudier la beauté des motifs du vivant est facile. Il suffit de regarder autour de nous! Notre dernière étude porte notamment sur la truffe du chien dont la peau présente un réseau singulier de structures polygonales», explique Michel Milinkovitch.

La peau glabre du rhinarium (truffe) de nombreuses espèces de mammifères possède en effet un réseau de polygones formés par des rainures dans la peau. Celles-ci, en retenant les fluides physiologiques, permettent de garder le nez humide et, entre autres, de faciliter la collecte de molécules odorantes et de phéromones. L’équipe genevoise a collaboré avec l’Université Paris-Saclay, l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort (EnvA) et l’Institut de Neurosciences de San Juan de Alicante pour la collecte des échantillons de rhinaria d’embryons de chiens, de vaches et de furets.

Visualisation des nez en 3D
Ces échantillons ont été observés par microscopie dite de «fluorescence à feuille de lumière», une technique permettant de visualiser les structures biologiques en trois dimensions. Les chercheurs et chercheuses ont constaté chez les trois espèces de mammifères que les réseaux polygonaux de plis de l’épiderme – la couche externe de la peau - apparaissent au cours de l’embryogenèse et qu’ils se superposent systématiquement à un réseau sous-jacent de vaisseaux sanguins rigides, localisés au niveau du derme – la couche profonde de la peau. Ils et elles ont observé par ailleurs que la prolifération des cellules de l’épiderme était plus rapide que celle des cellules du derme.


Les vaisseaux sanguins, «piliers architecturaux»
À l’aide de ces données, un modèle mathématique a permis aux scientifiques d’effectuer des simulations informatiques de croissance des tissus. Celles-ci prennent en compte la différence de vitesse de croissance entre le derme et l’épiderme, leur rigidité respective et, surtout, la présence de vaisseaux sanguins dans le derme. «Nos simulations numériques montrent que le stress mécanique généré par la croissance excessive de l’épiderme se concentre aux positions des vaisseaux qui forment des points d’appui rigides. Les couches épidermiques sont alors repoussées vers l’extérieur en formant des dômes - un peu comme des voûtes s’élevant contre des piliers rigides», explique Paule Dagenais, post-doctorante au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l’UNIGE, et première auteure de l’étude.

Ces résultats démontrent que dans le cas des rhinaria, la position des structures polygonales de l’épiderme est imposée par la position des vaisseaux sanguins rigides du derme, qui vont exercer des contraintes locales lors de la croissance de l’épiderme conduisant à la formation de sillons et de dômes à des endroits précis. «C’est la première fois que ce mécanisme, que nous appelons ‘‘information positionnelle mécanique’’, est décrit pour expliquer la formation de structures au cours du développement embryonnaire. Mais nous ne doutons pas qu’il permettra d’expliquer la formation d’autres structures biologiques associées à la présence de vaisseaux sanguins», conclut Michel Milinkovitch.


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