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Décès liés à la drogue : le Québec est-il entré dans une nouvelle ère?

Peer-Reviewed Publication

University of Montreal Hospital Research Centre (CRCHUM)

Sarah Larney, chercheuse au CRCHUM, professeure au département de médecine familiale et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal et chercheuse à l’Initiative canadienne de recherche sur l’abus de substances (ICRAS)

image: Sarah Larney, chercheuse au CRCHUM, professeure au département de médecine familiale et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal et chercheuse à l’Initiative canadienne de recherche sur l’abus de substances (ICRAS) view more 

Credit: CHUM

Dans la dernière décennie, les personnes utilisatrices de drogues au Québec ont été peu touchées par les épidémies de surdoses de drogue survenues au Canada. Mais depuis 2020, la situation a changé : le marché de la drogue est désormais contaminé au Québec. Ce qui s’est passé en Colombie-Britannique et en Ontario se produit maintenant ici, explique la chercheuse Sarah Larney.

Dans une étude publiée dans la revue Drug and Alcohol Review, elle a analysé les décès accidentels survenus entre 2012 et 2021 et rapportés par le coroner comme étant dus à des opioïdes ou à des stimulants. Ses conclusions sont inquiétantes : les taux de mortalité liés à la drogue au Québec augmentent au fil du temps, atteignent un pic en 2020 et demeurent élevés en 2021.

De plus, le fentanyl et les nouveaux opioïdes synthétiques sont en passe de devenir les substances les plus fréquemment détectées dans les décès attribuables aux opioïdes. Ces drogues contiennent souvent des adultérants, des ingrédients pharmaceutiques actifs ajoutés pour augmenter ou imiter les effets attendus de la substance illicite consommée.

« Récemment encore, les gens achetaient de l’héroïne qui contenait des adultérants, mais ces adultérants ne tuaient pas. Aujourd’hui, on ne peut acheter que du fentanyl, qui est beaucoup plus puissant que l’héroïne, et les adultérants sont également beaucoup plus mortels », explique Sarah Larney, professeure au département de médecine familiale et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal et chercheuse à l’Initiative canadienne de recherche sur l’abus de substances (ICRAS).

En entrevue, la chercheuse nous dévoile quelques résultats de son étude.

Q. Les drogues actuellement offertes sur le marché illégal au Québec (fentanyl et dérivés) ne sont pas les mêmes qu’en 2019. Comment expliquez-vous ce changement de marché alors que le Québec s’est traditionnellement différencié de la Colombie-Britannique?

R. Cela coïncide avec la pandémie de COVID-19, même si certains signes indiquaient que le fentanyl était en hausse avant cela. L’épidémie de surdoses d’opioïdes a été aggravée au Canada par ce « grand événement » : nous sommes alors passés d’environ 3700 décès par intoxication en 2019 à plus de 7300 en 2022.

La pandémie a perturbé le marché de la drogue, catalysant et accélérant le changement de ce que les gens achetaient et consommaient.

En fait, la présence accrue de fentanyl et de nouveaux opioïdes de synthèse est le changement majeur observé dans les décès par empoisonnement aux opioïdes enregistrés au Québec depuis 2020.

D’après les données toxicologiques des décès liés à la drogue, le Québec pourrait être entré à l’heure actuelle dans une nouvelle ère de mortalité élevée par surdose.

 

Q. Vous avez également constaté que les décès étaient souvent dus à une combinaison d’opioïdes et de benzodiazépines. En quoi cela est-il préoccupant du point de vue de la santé publique?

A. La plupart des surdoses impliquent plus d’une drogue. Pendant longtemps, les surdoses au Québec montraient la présence de benzodiazépines bien connues comme le Valium. Mais aujourd’hui, de nouvelles benzodiazépines puissantes (tranquillisants de synthèse) sont combinées avec des opioïdes, intentionnellement ou non.

Cette nouvelle combinaison est particulièrement préoccupante. Les effets sédatifs des benzodiazépines combinés à la tendance des opioïdes à ralentir le système nerveux central et le système respiratoire augmentent le risque de surdose et réduisent l’effet de la naloxone pour secourir quelqu’un.

Le risque de surdose est plus élevé qu’auparavant, le risque de ne pas se remettre d’une surdose est également plus élevé. C’est une situation très inquiétante.

 

Q. Malgré toutes les campagnes de prévention des surdoses, les taux de mortalité par surdose ont augmenté. Selon vous, que devrions-nous faire pour nous attaquer plus efficacement à ce problème?

R. Avec près de 45 000 décès par surdose d’opioïdes enregistrés entre 2016 et 2023, le Canada reste aux prises avec une épidémie.

Les interventions sont essentielles. La naloxone, un approvisionnement plus sûr, des sites de consommation supervisée accessibles font partie de la réponse, mais ils ne sont pas suffisants aujourd’hui, même si nous savons que la réduction des risques fonctionne.

Aujourd’hui, compte tenu du caractère mortel des drogues proposées sur le marché, nous devons envisager une réforme de la législation, telle que la décriminalisation ou même la légalisation des drogues. Nous pourrions nous inspirer du modèle assez réussi du Portugal, qui a permis de réduire les surdoses et les cas de VIH, et l’essayer à Montréal, par exemple.

De plus, la littérature scientifique nous le dit : la criminalisation et la punition ne fonctionnent pas. Nous devrions plutôt investir dans des réformes de politique sociale qui s’attaquent aux causes profondes de l’usage problématique de drogues : la pauvreté, l’inégalité des revenus et la crise du logement.

Notre étude attire l’attention sur ce que les données les plus récentes indiquent : les choses ont changé et nous devons réagir.

 

Rédaction : Bruno Geoffroy

 

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À propos de cette étude 

« Trends in toxicological findings in unintentional opioid or stimulant toxicity deaths in Québec, Canada, 2012–2021: Has Québec entered a new era of drug-related deaths?» par Uyen Do sous la supervision de Sarah Larney et de ses collègues, a été publiée le 6 août 2024 dans la revue Drug and Alcohol Review.

Sarah Larney bénéficie d’une bourse du Fonds de recherche du Québec.

 

À propos du Centre de recherche du CHUM (CRCHUM) 

Le Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM) est l’un des principaux centres de recherche hospitaliers en Amérique du Nord. Sa mission est d'améliorer la santé des adultes grâce à un continuum de recherche couvrant des disciplines telles que la science fondamentale, la recherche clinique et la santé des populations. Quelque 2120 personnes travaillent au CRCHUM, dont près de 550 chercheuses et chercheurs, et plus de 500 étudiantes et étudiants des cycles supérieurs, et stagiaires postdoctoraux. crchum.com 

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