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Par quel processus les tigres à dents de sabre ont-ils acquis leurs longues canines supérieures?

Une étude qui enrichit non seulement notre compréhension du passé de la Terre, mais documente également les mécanismes conduisant à la convergence évolutive.

Peer-Reviewed Publication

University of Liège

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Example of the morphological variation observed in the cranium of felids and nirmavids with species exhibiting both short and long upper canines.

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Credit: Narimane Chatar / University of Liège

Dans une étude inédite, une équipe internationale dirigée par des scientifiques de l’Evolution & Diversity Dynamics Lab (EDDy Lab) de l'Université de Liège s'est penchée sur les schémas évolutifs qui se cachent derrière le développement des dents de sabre, avec quelques résultats inattendus en cours de route. 

Les dents de sabre, ces canines supérieures allongées emblématiques, fascinent depuis longtemps aussi bien les scientifiques que le grand public, notamment car elles sont apparues à plusieurs reprises dans le registre fossile, dont deux lignées de tigres à dents de sabres particulièrement connues : les félidés (la famille de nos chats domestiques, lions, tigres, etc.) et les nimravidés (une famille complètement éteinte). Cependant, le processus par lequel ces lignées ont acquis leurs canines supérieures allongées reste assez flou. 

Narimane Chatar, auteure principale de l'étude, qui a effectué son doctorat au sein de l'EDDy Lab de l’Université de Liège et maintenant post-doctorante à la UC Berkeley aux Etats unis, a dirigé une étude ambitieuse pour découvrir les secrets de l'évolution des dents de sabre. En utilisant des scanners 3D de pointe et des méthodes analytiques, l'équipe a méticuleusement collecté et analysé des données provenant d'un ensemble diversifié d'espèces actuelles et éteintes. «Nous avons quantifié la forme de 99 mandibules et 91 crânes, provenant de différentes époques et continents, ce qui nous a permis de mieux comprendre l’évolution de ces animaux » explique le Dr Chatar. « Dévoiler les secrets de l'évolution des dents de sabre enrichit non seulement notre compréhension du passé de la Terre, mais documente également les mécanismes conduisant à la convergence évolutive », indique le professeur Valentin Fischer, directeur de l'EDDyLab de l'ULiège.

L'étude a révélé quelques résultats surprenants. Le premier est que plutôt que d'opposer deux morphologies crâniennes distinctes chez les espèces avec des canines supérieures allongées à celles avec de courtes dents, il s'agit plutôt d'un continuum de forme reliant les plus petits chats actuels et leurs homologues éteints à dents de sabre. "D'un point de vue morphologique, le crâne d'un petit chat actuel est aussi étrange et modifié que celui d'un grand félin à dents de sabre", indique le Dr Margot Michaud, chercheuse à l'Université de Guyane française à Cayenne. Ce sont donc les deux extrêmes d'un continuum de formes que les prédateurs à forme féline ont vu évoluer au fil du temps géologique. « Notre étude suggère que ce que nous considérons souvent comme des exemples de schémas évolutifs dans les manuels scolaires sont en réalité simplifiés à des fins éducatives. Cependant, lorsque nous nous plongeons dans des analyses statistiques, nous découvrons des scénarios bien plus complexes dans ces cas, comme le suggèrent les résultats de nos tests de convergence », explique Davide Tamagnini, chercheur post-doctoral à l'Université de Rome La Sapienza.

La seconde surprise concerne le chemin que l'évolution a pris pour produire des espèces à dents de sabre. En effet, les travaux de l'équipe ont révélé que les espèces à dents de sabre présentent des taux d’évolution morphologiques plus rapides au début de leur histoire évolutive par rapport aux espèces avec des canines plus courtes « Parmi d'autres découvertes fascinantes, nous avons mis en évidence que l'intégration craniomandibulaire chez les espèces à dents de sabre est réduite, facilitant une plus grande adaptabilité et diversification dans la mâchoire et la morphologie crânienne », souligne Margot Michaud.  

Ainsi, une diversification morphologique rapide et un crâne assez plastique ont été identifiés comme deux composantes clés ayant facilité l'émergence de canines supérieures allongées à la fois chez les félidés et les nimravidés. « Par conséquent, il semble y avoir une recette commune pour évoluer en prédateurs ressemblant à des félins à dents de sabre », indique le Dr Chatar.

Enfin les recherches de l'équipe ont mis en évidence le déclin des formes à dents de sabres ainsi que les tendances plus larges des prédateurs à forme féline au cours de leur histoire évolutive. Malgré l'extinction relativement récente des formes à dents de sabre, il y a "seulement" quelques milliers d'années, les prédateurs à forme féline sont en fait en déclin depuis l'époque du Miocène (entre -23 et -5 millions d'années). « Certains de ces prédateurs à forme féline, en particulier les espèces à dents de sabre, ont rapidement occupé des niches assez spécialisées, ce qui les a rendus plus susceptibles à l'extinction », précise le Dr Tamagnini. Ce phénomène, connu sous le nom de 'ratchet' ou cliquet macroévolutif, a été proposé comme un moteur potentiel du déclin de certains groupes, où l'évolution favorise la perte de formes généralisées précoces, conduisant à l'émergence de formes plus spécialisées, mais également plus vulnérables, plus tard dans l'histoire de la lignée.

« Les prédateurs ont leurs propres voies évolutives et risques d’extinction. Etudier comment les prédateurs anciens ont prospéré et décliné nous informe sur les futurs possibles de nos écosystèmes », conclut le professeur Fischer. 


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