Des scientifiques de l’Universidad Carlos III de Madrid (UC3M) et de la Johns Hopkins University (JHU), aux États-Unis, ont analysé la croissance des tumeurs du sein d’un point de vue biomécanique et ont créé un modèle informatique qui simule le processus d’invasion des cellules cancéreuses, en fonction des caractéristiques du tissu environnant et des unions cellulaires, entre autres paramètres. Ce type de modèles permettra de prédire l’évolution d’une tumeur chez les patientes en fonction des propriétés mécaniques (rigidité, densité, etc.) de la zone où elle se développe, qui peuvent être déterminées par biopsie ou par des techniques d’imagerie.
Le processus de croissance d’une tumeur solide implique son expansion à travers le tissu environnant, généralement composé d’une matrice fibrillaire (par exemple, le collagène). Son expansion dépend de nombreux facteurs, tels que le nombre total de cellules dans la tumeur, son volume et sa rigidité, son accès aux nutriments et les propriétés mécaniques du tissu où elle se développe. Sur la base de modèles expérimentaux in vitro, ces chercheurs de l’UC3M et de la JHU ont développé un modèle qui leur permet de simuler sur ordinateur la croissance de tumeurs en tenant compte de ces facteurs. « Dans ce modèle, nous avons simulé la façon dont les cellules d’une tumeur du sein se multiplient et envahissent le tissu qui les entoure, et comment elles se reproduisent plus ou moins en fonction de la rigidité et de la porosité du tissu environnant ou de la force des unions de certaines cellules avec d’autres », explique l’un des chercheurs, Daniel García González, professeur titulaire du département des milieux continus et de la théorie des structures de l’UC3M et chef du projet ERC 4D-BIOMAP.
Pour ce faire, les chercheurs ont travaillé avec des sphéroïdes, qui sont des groupes de cellules tumorales présentant des caractéristiques différentes, intégrées dans une matrice et fonctionnant comme un modèle, simulant le comportement des cellules dans une tumeur réelle. « Ce sont des systèmes très puissants qui sont de plus en plus utilisés pour étudier le comportement des tumeurs et les thérapies possibles », explique une autre des chercheuses, Arrate Muñoz-Barrutia, professeure d’université du département de bio-ingénierie de l’UC3M.
Grâce à ces sphéroïdes, les chercheurs ont pu modifier en laboratoire certains aspects biologiques ou mécaniques de ces tumeurs et évaluer l’influence de ces variables sur la prolifération et la migration des cellules. Ils ont ensuite transformé ces observations en équations mathématiques qu’ils ont implémentées dans un modèle informatique. Ils ont ainsi pu tester en parallèle (dans le simulateur informatique et dans le modèle expérimental avec les sphéroïdes en laboratoire) le comportement des variables qui a une incidence sur la croissance de ces tumeurs. « Nos nouveaux sphéroïdes à compartiments multiples nous ont permis de contrôler et d’ajuster les propriétés biomécaniques du système en contrôlant la densité du collagène et l’expression de la E-cadhérine, dont on sait qu’elles jouent un rôle dans la progression du cancer du sein. Il était très intéressant de travailler avec cette équipe et de voir le développement de ces processus d’un point de vue à la fois expérimental et informatique », déclare un autre des auteurs de l’étude, Denis Wirtz, du département de génie chimique et biomoléculaire de la JHU.
« Alors qu’expérimentalement la prolifération et l’invasion sont souvent mesurées comme deux paramètres indépendants, nous avons observé un fort couplage de ces processus. Bien que l’analyse de ces contributions ne puissent être découplées à l’aide d’approches expérimentales traditionnelles, le modèle informatique nous a permis d’étudier ces processus de manière indépendante et de mieux comprendre les propriétés biomécaniques de notre système », ajoute une autre chercheuse de l’équipe, Ashleigh Crawford, doctorante à la JHU.
Les applications futures de cette étude sont prometteuses, selon les chercheurs. « Si nous connaissons les paramètres mécaniques qui influencent la croissance plus ou moins importante de la tumeur, nous pourrions utiliser ces données pour améliorer le traitement ou développer de nouveaux médicaments à moyen ou long terme », explique Daniel García González. « Nous pensons que ces études ouvrent la voie au développement de technologies permettant de caractériser la mécanique de la tumeur, ce qui peut ajouter des informations pertinentes au choix de la thérapie contre le cancer », ajoute Arrate Muñoz-Barrutia.
L’équipe de scientifiques souligne également l’importance de la recherche multidisciplinaire dans ce cas, puisque les contributions sont allées du domaine informatique et mathématique à la biologie pure. « Ma formation en ingénierie biomédicale à l’UC3M m’a permis de collaborer à toutes les parties de cette recherche et de créer des ponts de communication entre des disciplines qui utilisent des terminologies différentes », explique une autre des auteures de l’étude, Clara Gómez Cruz, doctorante au département des milieux continus et de la théorie des structures de l’UC3M.
Cette recherche fait partie du projet 4D-BIOMAP (Biomechanical Stimulation based on 4D Printed Magneto-Active Polymer), financé par le Conseil européen de la recherche (European Research Council) par le biais d’une subvention ERC Starting Grant du programme-cadre de l’Union européenne pour la recherche et l’innovation, Horizon 2020 (GA 947723). En outre, il a reçu un financement de l’Institut national de la santé (National Institute of Health et de l’Institut national du cancer (National Cancer Institute) des États-Unis.
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Vidéo: https://youtu.be/dEztKWluOTI
Journal
Acta Biomaterialia
Method of Research
Computational simulation/modeling
Subject of Research
Cells
Article Title
Tumor proliferation and invasion are intrinsically coupled and unraveled through tunable spheroid and physics-based models
Article Publication Date
19-Jan-2024