Le réchauffement des océans de la Terre dû au changement climatique modifie les aires de séjour, d’alimentation et de reproduction des poissons, ce qui peut souvent avoir un effet néfaste sur leurs populations. C’est la conclusion d’un nouvel article paru dans la revue Nature Ecology and Evolution.
Selon l’équipe de recherche, les populations dont on observe un déplacement rapide de l’aire de répartition diminuent sensiblement, soit dans une proportion atteignant 50 % en l’espace d’une décennie. Les populations les plus touchées sont celles qui vivent à la limite septentrionale de l’aire de répartition de leur espèce.
« D’après une idée reçue qu’ont de nombreux biologistes spécialisés dans le changement climatique, les espèces dont l’aire de répartition se déplace rapidement vers le nord devraient, par ce mécanisme, voir leurs populations se maintenir en bonne santé – autrement dit, ces espèces devraient être des gagnantes du changement climatique », expose Jean-Philippe Lessard, coauteur de l’article et professeur au Département de biologie de l’Université Concordia. « Or, nos résultats montrent exactement le contraire. »
« Les espèces dont l’aire de répartition se déplace rapidement connaissent peu de changements quant à la taille de leurs populations dans leur aire de répartition principale. Mais certaines d’entre elles subissent un effondrement majeur de leurs populations aux limites septentrionales. »
« En fait, l’effondrement est principalement attribuable aux populations qui se déplacent vers le pôle Nord, ajoute-t-il. Nous nous attendions à ce que de nombreux individus de l’aire de répartition principale remontent vers le nord en raison du changement climatique et maintiennent ces populations septentrionales. Mais ce sont les populations de la bordure nord qui sont les plus susceptibles de s’effondrer. »
Des modèles communs à toutes les espèces
Les scientifiques ont combiné l’information de deux grandes bases de données pour examiner les effectifs des espèces dont l’aire de répartition se déplace. Ils ont ainsi étudié 2 572 séries chronologiques à l’échelle des populations de 146 espèces, habitant pour la plupart des régions tempérées ou subpolaires.
Leur analyse a révélé que les espèces qui se déplacent très rapidement vers les pôles – c’est-à-dire qui parcourent plus de 17 kilomètres par an – connaissent un déclin marqué de leurs populations, tandis que celles qui ne se déplacent pas enregistrent des augmentations négligeables.
« Nous n’avons pas encore trouvé de mécanisme sous-jacent qui explique ces résultats, mais nous pouvons supposer que les populations qui déclinent rapidement appartiennent à des espèces moins évolutives ou incapables de s’adapter à des conditions changeantes, avance Jean-Philippe Lessard. Ce sont peut-être les mêmes qui se dispersent très rapidement vers les eaux plus froides près des pôles. »
L’étude a également montré que la relation est maintenue au-delà des échantillonnages provenant de petites portions de valeurs extrêmes, de l’endroit où les estimations de la vitesse de déplacement de l’aire de répartition ont été mesurées et de l’utilisation de valeurs négatives de déplacement de l’aire de répartition, telles que les migrations vers l’équateur plutôt que vers les pôles.
En outre, les données indiquent que la relation n’est pas le fait de quelques espèces dont les populations ont fait l’objet d’études approfondies. En revanche, les tendances observées dans l’Atlantique Nord-Est, où la plupart des données ont été enregistrées, ont largement contribué à cette relation.
De multiples menaces combinées
Pour les espèces ayant une valeur économique, la combinaison d’un déplacement de l’aire de répartition et de la pêche commerciale peut s’avérer dévastatrice pour les populations locales. Les chercheurs citent l’effondrement de la morue de l’Atlantique Ouest comme exemple des risques encourus par les populations vulnérables.
« Les poissons commerciaux présentent une tendance semblable au déclin des populations avec un déplacement rapide de l’aire de répartition, et ils sont globalement plus à risque de connaître un tel déclin que les espèces non commerciales », souligne Jean-Philippe Lessard.
Shahar Chaikin, de l’Université de Tel-Aviv, est l’auteur principal de l’article. Parmi ses coauteurs figurent Federico Riva de l’Université libre d’Amsterdam, Katie Marshall de l’Université de la Colombie-Britannique et Jonathan Belmaker de l’Université de Tel-Aviv.
Le Centre de la science de la biodiversité du Québec a contribué au financement de cette étude.
Lisez l’article cité (en anglais seulement) : « Marine fishes experiencing high-velocity range shifts may not be climate change winners ».
Journal
Nature Ecology & Evolution
Method of Research
Data/statistical analysis
Subject of Research
Animals
Article Title
Marine fishes experiencing high-velocity range shifts may not be climate change winners
Article Publication Date
8-Mar-2024
COI Statement
The authors declare no competing interests.